Top 20 des pochettes les plus marquantes de l’année 2020


Kendrick Lamar en 2015Club Cheval en 2016Lomepal en 2017Deena Abdelwahed en 2018, Kristin Anna en 2019… et en 2020 ? Comme tous les ans, Néoprisme vous dévoile son classement des vingt pochettes les plus marquantes de l’année.

20. Apple Jelly x Slip — Die, motherfucker ! Die !!! — Nobody can see us

L’artiste visuel Slip, influencé par le travail des plus grands surréalistes (de Prévert à Ernst, ou plus récemment, à Mariano Peccinetti) détourne « La Douleur » du sculpteur David D’Angers (1788-1856) pour illustrer « Die, motherfucker ! Die !!! », le nouvel album d’Apple Jelly. « J’ai voulu replacer cette œuvre dans un monde à la fois plus contemporain et plus proche de l’univers dansant et sombre d’Apple Jelly. Les couleurs à la fois globales et projetées sur le visage permettent d’accentuer le côté dramatique de la scène et contribuent à cette ambiance fin du monde. ».

19. Metz — Atlas Vending — Sub Pop Records

Sur cette pochette du dernier album de Metz, Atlas Vending, on nous présente la silhouette, dont le visage est caché (c’est une habitude chez Metz), d’un marginal qui a fini par tellement l’être dans sa tête qu’il a fini par le devenir dans la tête et aux yeux, pas toujours très compatissants, des autres. Et c’est le père d’Alex Edkins, guitariste et chanteur du trio (lui-même avait signée, avec Sasha Barr, la pochette de II), qui en est l’auteur, de cette photo troublante et troublée.

18. Tour-Maubourg x Thomas Brandy x Cécilia Martinez — Paradis artificiels — Pont Neuf Records

Pour illustrer le superbe Paradis artificiels (le nom est emprunté à Baudelaire) du producteur Tour-Maubourg, Thomas Brandy illustre l’isolement et l’envol intérieur qui induit tout élan de composition. « Je voulais », dit-il, « documenter l’environnement quotidien de Pierre, son isolement dans la musique, son envol intérieur au moment de la composition. ».

17. Kevin Morby x Matt Lief Anderson — Sundowner — Dead Oceans

En 1929, Virginia Woolf affirmait qu’il fallait une « Chambre à soi » pour pouvoir écrire, et donc créer. Dans la chambre qu’occupe ici Kevin Morby — qui n’est certes pas une femme mais l’un des grands compositeurs américains de folk de sa génération, mais qui nécessite, lui aussi, un lieu isolé pour pouvoir exploiter le potentiel de son moi intérieur —, s’il n’y a que deux murs sur les quatre que l’on trouve habituellement, l’espace a le mérite d’exister.

16. Aārp x Sixtine Dano — Propaganda — InFiné

Engagée et vectrice d’une illustration politique, sensée et qui lutte, à sa manière, contre une certaine forme de gavage mental, Sixtine Dano a conçu la pochette sans équivoque de Propaganda du producteur Aārp, un album dont le nom même dit tout et pensé au moment même où la France était confronté à des violences policières trop préoccupantes pour que l’on puisse, raisonnablement, ne pas y réagir.

15. Chassol x Gaëtan Brizzi x Yannick Levaillant — Ludi — Tricatel

« La pochette, c’est la solution, la solution à tous les exercices de jeux musicaux. C’est comme si tu avais une grosse boite, avec la solution inscrite dessus et tu picores pour comprendre. ». Des hommages aux Chevaliers du Zodiaque, à un film érotique d’animation japonaise des 70’s, à Fantasia 2000, aux Jeux olympiques… Ludi, le nouvel album de Chassol, s’illustre par une pochette qui se réfère, comme le disque en lui-même, à l’idée du jeu. Et possible que ce jeu-là soit, avant tout, un jeu de piste…

14. Tame Impala x Neil Krug — The Slow Rush — Caroline International

Lors de divagations étendues et légèrement obsessionnelles sur le web, l’Australien Kevin Parker, qui compose, enregistre et même mixe désormais les albums de son projet Tame Impala seul dans son coin, tombe sur ces photos d’un village namibien, celui de Kolmanskop, dont les constructions urbaines ensevelies par le sable du désert sont devenues, pour ceux qui visitent l’Afrique australe, une étape touristique incontournable. Lors de ces heures d’égarement 2.0, il a également découvert le travail de Romain Veillon, un photographe français qui parcourt le monde à la recherche, justement, de ces lieux que les humains ont abandonnés et que la nature a récupéré, et qui a fait de cette passion un métier. Très suivi sur le web, le photographe signe cette pochette qui dit, à sa manière, l’idée d’un temps qui ralentit.

13. 100 gecs x Darío Alva & Mikey Joyce — 1000 gecs and the Tree of Clues — Dog Show Records

Le bordel, voilà quel semble avoir été le mot d’ordre pour l’élaboration de la pochette de l’album remix du premier long-format de 100 gecs, le déjanté duo formé par les blondinets Laura Les et Dylan Brady. Confiée à l’artiste numérique Darío Alva, l’identité visuelle de 1000 GECS AND THE TREE OF CLUES prend la forme d’un génial fourre-tout hyper référencé, au design kitsch à souhait, qui ferait presque plus penser à la jaquette d’un jeu-vidéo de PS1 retrouvé dans un poussiéreux carton oublié au grenier qu’à l’artwork d’un album. Un résultat génialement chaotique, au moins tout autant que la musique qu’il illustre, qui parvient à occuper la quasi totalité de l’espace mental de quiconque ose poser ses yeux dessus.

12. Bengal x Alice Monvaillier — shiv — Wild Goose Chase

Les bouquets de roses s’offrent en nombre impair ? Et quand on les jette dans les puits, alors, par erreur ou par volonté assumée de les faire disparaître et le symbole qu’elles incarnent avec ? Eh bien là, aussi, il faut qu’elles soient en nombre impair, les roses. Du précipice dans lequel on avait voulu les perdre, les égarer et les plonger dans les confins de la Terre, celles du groupe Bengal (« grrrl-post-punk bruxellois », nous présente-t-on) ont ressurgi, maléfiques, magiques, convaincues qu’il y avait encore pour elles un rôle à jouer de ce côté-ci du monde.

11. Mou x Romain Lemé — Bijoux d’amour — FVTVR Records

Des petites histoires et de grands sujets (son amour, intense et désormais assumé, pour l’actrice Sophie Marceau) portés par des lyrics flamboyants (« Sophie Marceau, est-ce que ça boum ? »), et une pochette qui dit, elle aussi (le contraire eut été étonnant) un second degré certain. Mou s’est ainsi branché avec Romain Lemé lorsqu’il avait fallu évoquer son travail pour Raphaël D’Hervez (producteur de ce disque de Mou) et pour Pégase, un graphiste dont les dessins accordent une place cruciale, là aussi, à cette petite distance qui permet de se moquer grandement de soi-même.

10. Douglas Dare x Furmaan Ahmed — Milkteeth — Erased Tapes

« Ce n’est que maintenant que je me sens libre d’exprimer à nouveau l’enfant qui est en moi, et que je me permets de jouer avec la manière de m’habiller », dit cDouglas Dare à propos du shooting de la cover de Milkteeth (pour « dents de lait », et une évocation très nette du temps où tout est encore plus-au-moins innocent). Sur cette photo, signée par le designer Furmaan Ahmed (adeptes de portraits représentants ceux que l’on a tendance à placer en marge), Douglas pose ainsi comme les notables de Bamako au sein du studio Malick de Malick Sidibé, et fixe l’objectif d’un œil enfin assuré. Sa silhouette, pas bien grosse, est habillée par un peignoir à la blancheur virginale et largement ouvert, et laisse respirer un corps qui, après avoir suffoqué pendant si longtemps, s’oxygène enfin, et voilà l’un des grands pouvoirs de la création, pour de vrai.

9. Tycho x Dmitry Sovyak — Simulcast — Mom+Pop

D’un côté la mer, son immensité dont on ne devine pas le terme, une tranquillité toute relative, et ce sentiment immuable qui lie son image à celui de la liberté la plus profonde. De l’autre l’ombre, celle de ces parois rocheuses qui semblent grimper bien en haut — c’est une question de perspective — et qui, parce que le cadrage de la photo les taillent ainsi, prennent la forme d’une menace hostile. Entre les deux, un enfant agenouillé, non pas face à la mer, mais face à la terre, sombre et hostile : c’est la pochette du nouvel album, forcément clair-obscur, de Tycho. Et c’est métaphoriquement magnifique.

8. Nicolas Godin x Iracema Trevisan — Concrete and Glass — Because Music

Une passerelle aboutissant à une oasis paradisiaque, Nicolas Godin bien calé, centré, entouré par les eaux, le regard détendu et lointain… la pochette de Concrete & Glass, second album solo du cofondateur du groupe AIR, devait être à l’origine une photo pour nourrir le feed Instagram du musicien, avant de se retrouver imprimée sur le disque afin d’entourlouper bon nombre d’auditeurs et de rendre un hommage à l’âge d’or du music business.

7. Double Date With Death x Elzo Durt — L’Au-delà — Howlin Banana Records / US Resurrection Records

Dans l’au-delà, après la fin de tout et le début de tout autre chose, ou au milieu des étoiles, que trouvera-t-on ? Pas de preuves tangibles pour le moment, rien que des pistes, des superstitions, des croyances à-peu-près plausibles, des volontés de rien du tout ou de trop-plein jusqu’à la fin des temps. Après la vie et donc dans l’Au-Delà, les membres de Double Date With Death, eux, se figurent le monde avec un château-fort sans pont-levis, isolé dans une forêt bien épaisse, le genre dans laquelle les aventuriers un peu trop téméraires se perdent sans véritable espoir de marche arrière. Et c’est signé par l’illustrateur punk bruxellois Elzo Durt.

6. Rone x Boris Camaca — Room with a view — InFiné

À un scénario aux visions catastrophées — Room with a view est une réflexion autour de la collapsologie et des conséquences directes des dérèglements climatiques sur nos systèmes — répond une pochette éclatante, et une mise en scène qui montre les danseurs du Ballet National de Marseille porter aux nues le producteur, une manière de dire que dans la tourmente, c’est grâce à l’aide des autres que l’on pourra prétendre s’élever plus haut. L’unité des corps et des âmes, plutôt que leur déliquescence, afin de lutter contre le risque de l’effondrement ?

5. Thousand x Dove Perspicacius — Au Paradis — Talitres

Stéphane Milochevitch fait partie de ces artistes qui ont besoin de quelques petits repaires pour envisager le départ vers les très grandes aventures. Lorsqu’il faut se mettre au travail, et composer les chansons qui forment la discographie de son projet Thousand (pop rêveuse et réelle), le Français place en effet à ses côtés des photos, des objets, des symboles qui n’auraient sans doute pas beaucoup de sens pour les autres, mais qui disent tout pour lui. Un environnement idéal, pour Stéphane, comme un Paradis terrestre, comme le suggère le titre de ce quatrième album et comme le suggère magnifiquement conçue par une artiste, Dove Perspicacius, qui crée des ex-votos sur commande.

4. Stand High Patrol x Kazy Usclef – Our Own Way — Stand High Patrol Records

Scénographe, vidéaste, peintre, graffeur (un « créateur d’images », en somme), Kazy Usclef fabrique l’ensemble de l’identité visuelle du collectif nantais Stand High Patrol depuis 2007 et la parution des premières affiches de ce groupe originaire de Bretagne mais influencé, depuis toujours, par les sound systems de Kingston, par le hip-hop de Compton, par le trip-hop de Bristol, par la techno de Detroit. Pas de frontières, que des passeports… et des vols-planés ? «Kazy : « L’image de l’humain en train de voler revient régulièrement dans mon travail. Il y a cette idée de rêve et de grande liberté, cette volonté de ne pas rester terre-à-terre, revendiquée dans mes images comme dans la musique de Stand High Patrol. »

3. Shabaka & The Ancestors x Daniela Yohannes — We are sent here By History — Impulse! Records

Shabaka Hutchings s’est plongé, avec The Ancestors, dans un projet au nom éloquent : We are sent here by History (« Nous sommes envoyés ici par l’Histoire »). Sur cet album, une réflexion sur la condition des humains nés avec une peau à la couleur sombre, et confrontés à la suprématie de ceux nés avec une couleur plus claire. Comment illustrer un tel disque ? Par le travail de Daniela Yohannes, artiste londonienne qui explore, à travers un travail pictural intense, la place de cet invisible qui intervient, constamment, sur les corps et les esprits de ceux qui savent l’accepter, et qui confronte les thèmes de conscience, de race, d’ascendance, de nature éthérée, de cosmos et de pluralité de l’individu.

2. King Krule x Jack Marshall — Man Alive! — XL Recordings

Depuis ses débuts, Archy Marshall (aka King Krule) voit ses disques illustré par son frère, Jack Marshall. Ces visuels, conçus dans une esthétique délibérément cubiste (Picasso, Léger, Braque, les débuts de Mondrian…), disent toute la complexité existentielle d’un garçon torturé par des névroses solides — ses albums tout entiers paraissent conçus pour s’en échapper, de ces troubles psychiques — et toute la justesse picturale d’un regard extérieur qui pourrait difficilement être plus proche. Dernier exemple en date, la très belle pochette de Man Alive!, où Jack représente Archy mal à l’aise dans un corps trop grand pour lui, semblable à la représentation que l’on fait parfois des titans qui parcourent le monde des humains sous le poids de leur masse gigantesque.

1. Kalash Criminel x Fifou — Sélection naturelle — AllPoints

Un enfant de cinq ans en train de protéger sa mère, qui porte elle-même un enfant en bas-âge dans les bras, d’une intervention policière sur le point d’intervenir. L’histoire d’une Sélection naturelle qui condamnerait ceux qu’une certaine vision de la justice (toujours les mêmes ?) aurait décidé de condamner ? Kalash Criminel a donné carte blanche à Fifou, le directeur artistique, photographe, graphiste responsable d’une grande partie de l’image du rap français depuis quinze ans. Fifou en a profité pour signer, contexte politico-social oblige (les violences policières en rafale, les évacuations musclées de migrants…) la pochette la plus importante de l’année.