Apple Jelly x Slip — Die, motherfucker ! Die !!!


De la même manière qu’une certaine frange des musiques métal ont pu utiliser, tout au Nord de l’Europe, une iconographie autrefois plutôt liée aux cultures vikings, la musique « pop » (le terme est à considérer d’une manière globale), elle, a souvent fait l’usage de ces sculptures, parfois antiques, parfois néo-classiques, parfois tout autre, afin d’illustrer une œuvre qui devait ainsi résonner avec une certaine forme d’idéal classique, revendiqué ou entièrement détourné.

Pop de marbre

Ces dernières années, les Django Django avaient ainsi posé une orange sur les organes reproducteurs de la statue paresseuse de Lord Frederic Leighton (Born Under Saturn), quand le new-yorkais Jay-Z, lui, utilisait à son avantage quelques sculptures évocatrices de l’idéal antique (Magna Carta Holy Grail). Les Canadiens d’Arcade Fire (Reflektor) ou les Français de Mansfied.TYA (qui entouraient la déesse Hygie sur la pochette de Corpo Inferno, signée Théo Mercier) jouaient eux aussi la carte de la statufication, grande mode dans la France de la fin du XIXe siècle mais légèrement passée depuis.

Collages

Grand spécialiste de ces images dont le détournement, volontaire et appliqué, entraîne la signification d’un sens nouveau, Slip travaille dans la lignée de ces collages surréalistes (de Prévert à Ernst, ou plus récemment, à Mariano Peccinetti) qui osaient donner à la réalité un sens nouveau. Avec deux musiciens (Benoit et Victor Dauthereau) lancés depuis des plus de vingt ans dans la fabrication d’un électro rock qui revendique autant LCD Soundsystem que Kraftwerk ou Hot Chip, ce « faiseur d’images » fixe ou animées accompagne depuis ses débuts Apple Jelly, un projet qui a abouti, après quelques embuches (quelle œuvre n’en rencontre pas en chemin, des embuches) à la sortie d’un troisième album.

Slip, auteur d’une œuvre complexe, cathartique, déviante, pop, nous explique cette pochette fabriquée main dans la main avec un groupe dont il est clairement le troisième membre. À Slip la parole :

Apple Jelly

Déclin et ascension

« Pour ce nouvel album d’Apple Jelly, nous avons travaillé dès le départ avec BEnn., le chanteur et compositeur autour d’un thème qui nous tenait à cœur à l’époque et qui se retrouve propulsé en tête des # depuis quelques temps, le déclin d’une civilisation. 

Lorsque nous avons commencé ce processus créatif, il y a quelques années, avant que la musique ou l’univers graphique apparaissent, nous avons tracé les grandes lignes de notre réflexion au cours de longues conversations. À partir de ces mots-clefs, chacun a réinvesti son pré carré pour explorer, tester, construire et développer sa réflexion sous forme musicale pour BEnn., sous forme graphique pour moi.

Comme d’habitude, j’ai produit de nombreux travaux au cours de ces années d’attente, déclinant ce thème au travers de visuels et d’animations. On s’était assez vite arrêtés sur un artwork pour la pochette mais depuis que la date de sortie est connue, nous nous sommes re-penchés sur le sujet et un nouvel artwork a vu le jour (enfin plutôt une bonne cinquantaine).

Pour aborder ce thème de fin de civilisation, je me suis beaucoup appuyé sur la partie historique, à la recherche des civilisations disparues, de leurs symboles, de ce qui constituait une civilisation. 

Les symboles culturels sont assez vite apparus comme essentiels, évidemment, toutes les civilisations éteintes nous les ayant transmis. J’ai travaillé sur des symboles de notre temps, tout le numérique qui représente bien le système dans lequel on évolue, mais cette piste a été laissée de côté au profit d’un temps plus ancien, qui me semblait être plus représentatif d’une civilisation perdue. 

J’ai donc préféré utiliser un symbole qui était présent même dans les cultures plus anciennes, les sculptures. Des Égyptiens à la chute de l’Empire romain, en passant par l’île de Pâques ou les Aztèques, on retrouve ces symboles.

J’avais trouvé le support et il me fallait maintenant trouver comment composer cet artwork pour transmettre au mieux l’urgence de la musique, cet esprit de décadence propre à ces fins de cycle. J’ai passé beaucoup de temps à chercher la statue correspondant le mieux à ces sentiments avant de m’arrêter sur La Douleur de David D’Angers, un buste de 1811 qui exprimait pour moi parfaitement le malaise lié à la disparition des repères. 

La Douleur, David D’Angers (1811)

Un visage grimaçant dans une brume colorée.

Slip

Par ailleurs, j’ai voulu replacer cette œuvre dans un monde à la fois plus contemporain et plus proche de l’univers dansant et sombre d’Apple Jelly.  Les couleurs à la fois globales et projetées sur le visage permettent d’accentuer le côté dramatique de la scène et contribuent à cette ambiance fin du monde. 

Pour rappeler l’aspect dansant, j’ai repris des couleurs que l’on peut retrouver dans les lumières de clubs. J’ai en outre voulu retranscrire le mouvement lié à ces périodes d’incertitudes et de changements en plaçant ce visage grimaçant dans une brume colorée. ».

Le son

De ce côté-ci de l’Atlantique, aussi, le groove peut-être carré. Les Apple Jelly ont écouté LCD Soundsystem et ils ont bien eu raison de le faire, leur rock électronique, électrique et discoïde fait danser en même temps qu’il donne une furieuse envie de tout envoyer valdinguer. Le système qui a pris le « Control » (un single de 2013 sur un album de 2020 ? Allez, pourquoi pas !), celui qui se dandine en s’octroyant le droit de tous les avoir (le clip de « Die, motherfucker ! Die !!! ») les fins de siècle qui peuvent autant ressembler à des débuts qu’à la terminaison de tout (« The end of our age »). Die, motherfucker ! Die !!! songe au monde moderne qui a débuté sa lente et pénible descente et aux civilisations qui s’élèveront derrière lui. Et en attendant, il danse sur ses décombres pas encore tout à fait chauds.

Apple Jelly (Facebook / Twitter / YouTube / Instagram)

Slip (Site officiel / Instagram / Facebook / Twitter)

Apple Jelly, Die, motherfucker ! Die !!!, 2020, Nobody can see us, 44 min., artwork de Slip