Top 20 des pochettes les plus marquantes de l’année 2018


Kendrick Lamar en 2015Club Cheval en 2016, Lomepal en 2017… et en 2018 ? Comme tous les ans, Néoprisme vous dévoile son classement des vingt pochettes les plus marquantes de l’année.

20. Triptides x Jeremy Perrodeau – Visitors – Requiem pour un Twister

D’où viennent-ils, où se rendent-ils, les Visitors qu’évoquent le titre du nouveau disque de Triptides (psyché, garage, shoegaze) ? Peut-être bien dans cette contrée décrite, visuellement parlant, par Jeremy Perrodeau, illustrateur et bédéiste français à qui les guitares tournoyantes et chaudes de ces Californiens qui caressent les cordes comme leurs meilleurs confrères de la scène psyché actuelle (Tame Impala, Temples ou Boogarins en tête) ont évoqué ces coloris chauds, rougeoyants, et bleutés (où il y a le soleil, il y a aussi l’ombre).

19. Satanic Surfers x Tue Sprogø – Back From Hell – Mondo Macabre Records

Il est cool, l’artwork que les Satanic Surfers (skate punk, métal mélodique, tout ça venu de Suède), via le dessin de l’illustrateur et bédéiste Tue Sprogø, proposent pour accompagner leur album Back From Hell. Il est cool, et il est aussi extrêmement littéral. Sur cet artwork dominé par le rouge (la couleur traditionnellement liée au diable), on y voit en effet un surfer (torse nu, cheveux en pétard, sourire aux lèvres) s’extraire très concrètement de la bouche d’un personnage nettement plus grand que lui, et qui s’avère, sans nul doute, être le diable. De cette bouche-là, ouverte comme si il venait d’être contraint à un dégluti soudain, un liquide venu de ses entrailles les plus profondes et sur lequel le surfer, dicté par un instinct viscéral, s’est instamment mis à « rider ». Un personnage « revenu des enfers », on l’a compris.

18. Laurence Wasser x D.i.e.l.o.d.g.e – V – Atomic Bongos

Le rouge domine et englobe tout, sur l’artwork de l’album V (comme « Ve République ») du dénommé Laurence Wasser. Couleur de la passion charnelle, de l’ardeur, du triomphe, du sang et du danger, et aussi des idéologiques qui se positionnent à l’extrême gauche de l’échiquier idéologique, on le mélange ici au noir, non pas pour imiter Stendhal (ou The Limiñanas ?) mais parce que le noir, c’est notamment la couleur de ce drapeau que l’on pourrait déployer en écoutant ce disque politique, engagé et vindicatif, le premier à sortir sur un label – Atomic Bongos – nommé de la même manière que ce titre culte de Lydia Lunch, l’une des plus grandes figures punk de la scène new-yorkaise des années post 1977.

17. Max Cooper x Tyler Hobbs – One Hundred Billion Sparks – Mesh

Auteur d’une thèse en biologie computationnelle, le producteur Max Cooper n’a jamais vraiment mis la biologie de côté. La pochette de son album One Hundred Billion Sparks,  est ainsi une référence aux cent milliards de neurones contenus dans chacun de nos crâne, et à ces innombrables fragments qui interagissent ensemble. Nos neurones, ainsi regroupés, créés une forme émergente, de la même manière que les couleurs et les structures ruissellent sur cet artwork proposé par le designer graphic Tyler Hobbs, habitué, lui aussi, à jongler avec les formes, les fragments, et les cellules qui, lorsqu’elles se rencontrent finissent parfois par ne plus faire qu’une.

16. Daniel Avery x Matt & Dan – Song for Alpha – Phantasy Sound / Mute Records

Réalisé par Matt & Dan, le duo qui avait déjà participé à la création de l’identité visuelle de Drone Logic, l’artwork de Song for Alpha prend la forme d’un nuancier, qui passe de l’orange au noir. Les créateurs expliquent l’avoir composé avec un visualiseur sonore, en appliquant à la musique différents programmes. Un rendu on ne peut plus honnête donc, paradoxalement plus direct, pour un album à la production plus texturée et fantomatique que le précédent.

15. Ian Sweet – Crush Crusher – Hardly Art

Ce n’est pas du sang, mais bien ses habits, qui enveloppent en réalité la Californienne Ian Sweet, personnage ultra sensible et tourmenté de la dream (ou « nightmare » ?) pop de Los Angeles, dans une rougeur si éclatante. Un ruban laisse envisager la flaque, et une robe longue l’enveloppe corporelle saignée : tout va bien, et ce même si l’intention, ici, était clairement de faire croire que tout allait mal.

14. Cockpit x Silio Durt – Cockpit II – Teenage Menopause RDS

Frère d’Elzo, le Bruxellois Silio Durt a utilisé 7 569 perles plastiques afin de composer l’artwork qui allait devenir celui de Cockpit II, le disque de Bordelais signés chez Teenage Menopause RDS, le label qu’on a exposé, justement, pour nos trois ans au Point Éphémère. « Ce grand dessin est une tragédie mutante bordélique à lecture ouverte qui évoque autant Buck Danny, que Kebra, que Top Gun, que Rambo 4 ou Space Harrier, ainsi que la destruction imminente de toute société civilisée », dit-il. « Programme dont ce disque pourrait être l’hypothétique bande-son idéale. »

13. The Soft Moon x Marion Constentin – Criminal – Sacred Bones

Dans Criminal, Luis Vasquez orchestre son propre jugement (car c’est bien lui le criminel de sa propre histoire), et tente de régler les sentiments de honte, de culpabilité, de détestation de soi, ces considérations désastreuses et autodestructrices qui ne l’ont pas quitté depuis la petite enfance. Ce n’est pas ainsi pour rien que l’Américain apparaît pour la toute première fois sur l’une de ses pochettes, et pas pour rien, non plus, que ce visuel-là apparaisse de manière aussi froissé…

12. Boy Azooga x Ben Arfur – 1, 2, Kung Fu! – Heavenly Recordings / [PIAS]

« L’artwork de 1, 2, Kung Fu ! est l’oeuvre de mon ami Ben Arfur, un artiste incroyable dont je suis un très grand fan. J’ai été inspiré par les artworks des sorties du label Analog Africa. J’aime les couleurs vives, le texte et la façon dont ils collent des photographies et des illustrations ensemble. Pour l’artwork de Boy Azooga, Ben a utilisé une vraie photo de moi avec mon dos tourné tenant un tambourin, et l’a multiplié ». Davey Newington dit être inspiré autant Black Sabbath, Outkast, The Happy Mondays, Ty Segall, The Beastie Boys, The Beach Boys ou William Onyeabor. Il sait aussi manifestement très bien s’entourer.

11. Leon Vynehall x Pol Bury x Trevor Jackson – Nothing Is Still – Ninja Tune

Le producteur Leon Vynheall, au moment de penser son concept-album Nothing Is Still – un disque qui revient sur la trajectoire de ses grands-parents qui avaient dû, dans les années 1960, quitter l’Angleterre et Southampton pour les États-Unis et New York – a vu dans l’œuvre du peintre, sculpteur et penseur belge Pol Bury (1922-2005) une connexion tellement idéale qu’il a décidé de faire de l’une de ses photographies (tirées de sa collection de Cinetisation) la pochette de cette œuvre pourtant tellement personnelle, faille spatio-temporelle qui permet au New-Yorkais de se projeter, sans doute, dans cette histoire qu’il a pris le temps, avec son langage à lui (la musique électronique ambiant) de raconter.

10. The Limiñanas x Richard Bellia – Shadow People – Because Music

Lionel et Marie Limiñana, accoudés contre un mur, posent vêtus de ces vêtements noirs qu’ils ne quittent que rarement et habillés par un rouge qui n’est, ici, pas celui du sang. La photo est signée Richard Bellia, qui a photographié les plus grands et continuent donc à le faire. Dans ce genre d’exercice, la simplicité est parfois une vertu qu’on a trop systématiquement tendance à mettre de côté.

9. FOUDRE! x Fanny Béguély – KAMI神 – Gizeh Records

Illustrer ce qui relève du hasard heureux, par ce qui relève du hasard heureux. Les membres de FOUDRE! (Frédéric D. Oberland, Romain Barbot, Grégory Buffier et Paul Régimbeau), auteurs ensemble d’un projet au sein duquel les idées d’improvisation et de liberté totale font figures de leitmotivs indéboulonnables, confrontés au travail de Fanny Béguély, qui, via ses chimigrammes, « photographies chimiques », laisse la forme apparaître par la grâce de sa propre volonté. Des hasards qui se rencontrent, et une illustration efficace pour KAMI神, un album qui hurle, qui se tord et s’élève très haut, et dont le titre fait référence à ces forces énergiques qui, dans la tradition japonaise, seraient « capables du meilleur comme du pire »… 

8. Sopico x Koria – YË – 75e Session Records

La volonté de représenter le travail en studio, de concrétiser le processus de création, de donner vie à la « mécanique du flow ». Comme certains fabriquent des motos, Sopico, lui, a construit son album. Croisé dans l’année, il nous l’affirmait justement : « Je voulais faire un truc dans un garage et mettre un objet mécanique derrière moi qui représenterait le travail en studio ». Métaphore mécanique, métaphore habile.

7. L’Or du Commun x Cécile Stevens – Sapiens – LaBrique / URBAN / [PIAS]

Des mannequins uniformes, dénudés et sans poils, s’accumulent par dizaines dans une pièce qui paraît ne pas avoir de limite. Identiques lorsqu’on les zieute de loin, légèrement différents lorsque l’on pose un regard un peu plus attentif sur eux, ils sont, pour le trio bruxellois L’Or du Commun (les rappeurs Loxley, Primero et Swing) et pour la designeuse Cécile Stevens de l’agence pomme3D, une représentation de cette espèce que les scientifiques nomment « Homo sapiens » (celui qui vient juste après l’homme de Neandertal), et que le lambda nomme « espèce humaine ». « Homosapiens y’a pas assez d’amour entre nous », chantent-ils.

6. The Blaze – Dancehall – Animal 63 / Believe Recordings

« Le titre de notre album, Dancehall, superposé à la photo d’une barre d’immeubles de la pochette, est une façon de signifier que la salle de danse peut se trouver n’importe où, dans un hall de bâtiment ou ailleurs. » La danse, ainsi, partout, où il est possible de l’invoquer, et de la provoquer. Coup de pied, coup de béton, coup de foudre.

5. John Grant x Jonathan de Villiers x Scott King – Love Is Magic – Bella Union / [PIAS]

Les troubles internes de l’Américain John Grant, confronté jadis à une jeunesse complexe (c’est ce qu’implique souvent le fait d’être différent dans un milieu fait de gens conformes) tellement visibles en externes, sont symbolisés par cette cage d’oiseau, dans lequel son visage est enfermé. Sur son corps, tendu, des plumes, qui peuvent renvoyer à celle d’un oiseau (d’où le lien avec la cage…) mais aussi au sort que l’on réservait « traditionnellement » aux extravagants dans ce Far West tellement réutilisé par la culture populaire, là où l’on recouvrait les corps non désirés par la communauté de goudron et de plumes… Le Far West d’il y a quelques siècles, et le Minnesota d’il y a quelques années pour John Grant ? Toujours est-il qu’en guise d’échappatoire, et de cela le regard de l’artiste en témoigne, c’est vers le micro, et donc vers la musique, que l’Américain a pris soin de s’orienter…

4. Nils Frahm x Lia Darjes – All Melody – Erased Tapes

Le studio d’enregistrement. Enjeu central de tout musicien, chanteur ou producteur ayant vocation à léguer son oeuvre à une postérité plus ou moins élargie, il est le lieu où la magie opère, où ce que l’on pense et que l’on compose depuis des semaines, des mois, des années, prend forme concrète, le lieu où tout prend forme. Un studio, Nils Frahm vient justement d’en obtenir un au sein du complexe de Funkhaus, et c’est ce studio avec lequel il a décidé d’illustrer ce nouvel album dans lequel il a été intégralement composé et enregistré. C’est qu’il faut, parfois, revenir à l’essentiel.

3. Jay Rock – Redemption – Top Dawg Entertainment

On sent l’image improvisée, et la concordance des hasards trop belle pour qu’on la laisse passer. Une nuit de vadrouille avec quelques complices dans le coin – on devine en tout cas la scène -, une interrogation liée à l’illustration d’un album dont a déjà le nom en tête – Redemption -, et pour Jay Rock, qui a donc sorti son troisième LP chez Top Dawg Entertainment, la révélation. Ou plutôt, l’idée de rédemption, qui sera donc formulée, visuellement en tout cas, par cette image d’un rappeur triplement tourné vers la tentation de la foi. Les mains du Californien sont jointes, ses yeux tournés vers le ciel, et au-dessus de sa tête, mise en scène astucieuse, un poteau électrique dont le sommet forme une croix. Dieu est partout, disent ceux qui ont tenu à y croire.

2. Prequel Tapes x Ksenia Mozhayskaya aka nomoreless – Everything Is Quite Now – Gaffa Tape Records

Dans la masse informe, inutile et infinie, des images que le monde version 2018, combine et accumule au sein d’un flot qui paraît ne jamais avoir de fin, certaines de ces images, par un miracle quasi divin, parviennent à se démarquer. Il ne s’agit pourtant ici que d’un poney, et d’une scène au coloris un peu fade, avec son ciel blanc et ses fils de fer forcément grisonnants. Mais au-delà de son esthétique pure et dure, c’est la force émotionnelle et symboliste de cette image, que l’on jurerait d’abord post-apocalyptique avant de comprendre qu’elle est contradictoire (ce ne sont pas des peaux de bêtes qui trainent dans cette serre, mais bien des draps déchiquetés), qui nous a contraint de nous y arrêter plus longuement qu’à l’accoutumée. Cette image, elle est l’oeuvre de l’artiste Ksenia Mozhayskaya, aka nomoreless, et a été fabriquée afin d’illustrer un disque dont le nom, lui aussi, brouille immédiatement les pistes (on lit « Everything Is Quite Now », mais on pense « Everything Is Quiet Now »).

1. Deena Abdelwahed x Judas Companion – Khonnar – InFiné

L’une (Judas Companion, photographe et designeuse allemande basée à Londres), élabore une série de masques en laine sensés valoriser la beauté (et la dangerosité ?) cachées des choses. L’autre (Deena Abdelwahed, DJ et productrice tunisienne basée à Toulouse), compose une musique électronique organique et urbaine, qu’elle mêle avec des sonorités là pour revendiquer les racines qui sont les siennes (celles de la Tunisie) et mener une réflexion sur les idées d’identité, de transformation (et donc de transhumanisme) le tout résumé à travers la notion, tunisienne, de « khonnar » (le côté caché, inavoué, indicible de ces choses que l’on sait tout de même). Deux canaux pour s’exprimer, et une idée commune : l’humanité est plurielle, et ses identités, individuelles ou collectives, multiples. Ici, sur ce visuel terriblement défiant, la révolte et la grâce se rencontrent. Qu’aurait-il fallu de plus pour faire de ce visuel-là le plus marquant de l’année ?