Tame Impala x Neil Krug — The Slow Rush 


Lors de divagations étendues et légèrement obsessionnelles sur le web — il admet alors, à droite et à gauche, avoir été focalisé sur ces lieux abandonnés par les hommes et récupérés par les éléments de la nature — l’Australien Kevin Parker, qui compose, enregistre et même mixe désormais les albums de son projet Tame Impala seul dans son coin, tombe sur ces photos d’un village namibien, celui de Kolmanskop, dont les constructions urbaines ensevelies par le sable du désert sont devenues, pour ceux qui visitent l’Afrique australe, une étape touristique incontournable. Lors de ces heures d’égarement 2.0, il a également découvert le travail de Romain Veillon, un photographe français qui parcourt le monde à la recherche, justement, de ces lieux que les humains ont abandonnés et que la nature a récupéré, et qui a fait de cette passion un métier. Très suivi sur le web, le photographe a publié un recueil de son travail intitulé Ask the Dust (comme le roman de John Fante).

Ô temps, suspends ton vol

Tame Impala x Neil Krug — Borderline

The Slow Ruhsh, l’album qu’est alors en train de fabriquer Kevin Parker, évoque intensément ce temps qui passe et qu’on ne peut jamais vraiment rattraper — « Ô temps, suspends ton vol », comme le résumait si bien Lamartine dans ses Méditations poétiques — et qui, la trentaine déjà bien dépassée (il est né en 1986), commence à l’interroger plus qu’il ne voudrait bien l’admettre. Associer, dès lors, l’idée d’un album qui questionne la dureté du temps et une série d’images qui dit la défaite annoncée des humains sur la nature mère, c’est l’idée qui finit par s’imposer.

Profondément marqué par ces images qui portent en elles une forme de surréalisme à la Salvador Dalí — le peintre catalan qui passa lui aussi une partie de son existence à interroger la question du temps — Kevin Parker se rend quelques semaines plus tard en Namibie, à l’emplacement même de ce qu’il avait découvert plus tôt sur le web, et le voyage se fait avec son ami Neil Krug, photographe vu chez Lana Del Rey, Bonobo, Unknowm Mortal Orchestra, Benjamin Booker ou Cage the Elephant. Lui sera en charge de capter la beauté bizarre et viscéralement mélancolique ce cette ville abandonnée sur laquelle la nature avait repris ses droits, et commencé à ensevelir les constructions des humains sous sa toute-puissance sablée.

Urbex de masse

Très proche du travail de Romain Veillon — à tel point qu’on a cru d’abord qu’il s’agissait du sien… —, la pochette de The Slow Rush, le quatrième album de Tame Impala, reprend, et comme l’avait fait Alasdair Roberts en 2017, les codes de l’urbex (type de photographie « sauvage », qui implique la captation de lieux abandonnés dont il s’agit de ne pas déranger la longue mutation) et s’appuie sur le lieu en lui-même (le village enseveli de Kolmanskop) pour fixer son sujet. Les quatre artworks sortis par Neil Krug — celui de The Slow Rush, et également ceux des singles de l’album — fixent tous leurs objectifs sur des portes, des fenêtres, des ouvertures qui suggèrent le grand échappatoire rendu possible par la fuite du temps, et les espaces de sortie conçus par les humains condamnés par les affres de la nature. Une nouvelle manière de dire qu’à un moment ou à un autre, pour Kevin Parker comme pour le reste de l’humanité, c’est bien le temps qui se chargera de remettre le monde à sa place, et de permettre à chacun de devenir la poussière qui ne fait plus de mal à personne.

Le son

Cinq ans après Currents — un disque par ailleurs pourvu, lui aussi, d’un sublime artwork —Tame Impala sort, avec ce quatrième album, le disque le plus ambitieux de sa discographie. Sur The Slow Rush, Kevin Parker — qui compose et enregistre non seulement tous les instruments du disque, mais les mixe également désormais —, joue en effet d’une cinquantaine d’instruments là où, sur Innerspeaker (le premier album de Tame Impala sorti en 2010), il n’en jouait par exemple que de cinq… L’intention y est toujours globalement psychédélique et les mélodies toujours aussi accrocheuses (mentionnons les titres « Lost in Yesterday », « Breathe Deeper » ou « Tomorrow’s Dust ») et le sujet, on l’a dit, axé sur une tentative de contrôle d’un temps qui s’avère automatiquement infructueuse. À sa manière à lui, Kevin Parker suspend son vol, observe le monde qui l’entoure et ce qui traîne à l’intérieur de lui-même, fait le point sur ce qu’il reste à accomplir. Et s’égare pour mieux se retrouver, comme il le chante lui-même, dans les confins d’hier.

Tame Impala (Site officiel / Facebook Twitter / Instagram / YouTube)

Neil Krug (Site officiel / Facebook / Instagram)

Tame Impala, The Slow Rush, 2020, Island RecordsInterscope Records / Fiction RecordsCaroline International, 58 min., artwork par Neil Krug