King Krule x Jack Marshall — Man Alive!


Ici, une silhouette façon cubiste allongée sur un canapé déstructuré (King Krule, 2011). Là, King Krule lui-même accompagné d’une guitare, d’un air mélancolique, d’une Lune surplombant le tout, et toujours fondu dans un cubisme en noir et blanc (6 Feet Beneath The Moon, 2013). Là encore, un objet non-identifié laissant dans le ciel azur une trainée rosée (The Ooz, 2017). Aujourd’hui, un titan qui peine, parce que le corps n’est pas équilibré, à tenir sur ses jambes, et qui porte sur son visage les traits d’une inquiétude familière (Man Alive!, 2020).

Archy par Jack

Depuis ses débuts, très jeune — son premier EP, en 2011, sortait alors qu’il n’était âgé que de dix-sept ans — Archy Marshall, qui fait de la musique sous le nom de King Krule, voit son univers absolument folk, consciemment pop, légèrement R&B, illustré par les peintures abstraites et cubistes de Jack Marshall (aka Mistr Gone), son frère ainé qui l’avait précédé dans ce monde de deux petites années (Archy est né en 1994 et Jack en 1992).

Colosse au corps d’argile ?

Ces visuels, conçus dans une esthétique délibérément cubiste (Picasso, Léger, Braque, les débuts de Mondrian…), ils disent toute la complexité existentielle d’un garçon torturé par des névroses solides — ses albums tout entiers paraissent conçus pour s’en échapper, de ces troubles psychiques — et toute la justesse picturale d’un regard extérieur qui pourrait difficilement être plus proche — quand on grandit avec quelqu’un, on les voit parfois concrètement grandir chez l’enfant, les névroses qui feront plus tard l’adulte —. Dernier exemple en date, la très belle pochette de Man Alive!, où Jack représente Archy mal à l’aise dans un corps trop grand pour lui, semblable à la représentation que l’on fait parfois des titans qui parcourent le monde des humains sous le poids de leur masse gigantesque.

Cet homme-là est bien vivant, oui, comme le précise le titre de cet album clair-obscur. Mais il lui faut tout le courage du monde et une force irréelle pour pouvoir trouver une place correcte auprès des autres, et pour pouvoir, enfin, marcher sereinement à leurs côtés. La remarque est valable pour Archy, qui soigne depuis tant de temps l’intérieur de son âme, et aussi pour ce nouveau-né qui a rejoint sa vie — est-ce Prince Krule ? — et qui va se trouver confronter bientôt, lui aussi, à l’exercice périlleux de la bonne adaptation à l’environnement dans lequel il va très bientôt évoluer…

Le son

L’ancien enfant prodige de la pop-folk londonienne en a dernièrement eu un, d’enfant. Devenu père et pourvu, de ce fait, de responsabilités nouvelles, King Krule a profité de sa musique pour se replonger dans une introspection nécessaire — c’est pas un petit truc, d’avoir un nouveau-né qui arrive — et pour se retrouver confronté, comme elles traînaient dans le coin, à des névroses anciennes (« Stoned Again » et « The Comet Face »). Man Alive!, le troisième de King Krule, est ainsi l’album d’un écorché-vif qui a décidé de s’en sortir, et qui a décidé aussi de la faire partager aux autres, cette envie insubmersible de s’exfiltrer des plaines trop ombrageuses.

King Krule (Site officiel / Facebook / Instagram / YouTube)

Jack Marshall (TumblR)

King Krule, Man Alive!, 2020, XL Recordings, 42 min., artwork par Jack Marshall