Bengal x Alice Monvaillier — shiv


Lorsqu’en France, on offre un bouquet de roses à un être que l’on juge suffisamment précieux pour lui faire l’offrande des fleurs les plus emblématiques qui soit — les roses rouges notamment, sont celles qui disent l’amour passionné —, on nous indique toujours qu’il n’est pas question d’en offrir en nombre impair, de ces roses qui pourraient porter malheur si elles apparaissaient par deux, par quatre, par six ou par huit. Tradition, superstition, et tentative sérieuse de se conformer à des croyances supérieures et globalisées.

Les roses… et leurs épines

Et quand on les jette dans les puits, alors, par erreur ou par volonté assumée de les faire disparaître et le symbole qu’elles incarnent avec ? Eh bien là, aussi, il faut qu’elles soient en nombre impair, les roses. Du précipice dans lequel on avait voulu les perdre, les égarer et les plonger dans les confins de la Terre, celles du groupe Bengal (« grrrl-post-punk bruxellois », nous présente-t-on) ont ressurgi, maléfiques, magiques, convaincues qu’il y avait encore pour elles un rôle à jouer de ce côté ci-du monde.

Sollicitées, peut-être, par ce Soleil imposant qui apparaît au second-plan et par ce tropisme élémentaire qui oriente les organismes naturels par rapport à un agent extérieur, ces roses se voient offrir une seconde chance, et une seconde possibilité d’impacter un monde qui semblait pourtant d’abord ne plus vouloir d’elles. Fabriquées par le crayon de l’illustratrice Alice Monvaillier, elles accompagnent un album qui porte le nom d’une lame (« shiv », c’est la traduction anglaise de « surin », terme d’argo qui désigne une quelconque arme blanche) et dont les membres de Bengal nous racontent la genèse, l’intérêt, l’objectif.

« Avant d’en venir à nos réflexions sur le design, il faut d’abord dire un mot sur le médium : c’était important pour nous d’avoir un support physique, quelque chose de tangible pour présenter notre travail artistique. La cassette était un bon compromis au niveau financier. Presser des vinyles n’étant pas encore possible pour nous, ça nous allait bien de perpétuer cet héritage de la débrouille et du fait maison que certain.e.s d’entre nous ont connu étant enfant.

Nous avons commencé par proposer chacun.e des moodboards assez larges avec des images, des artistes et des designs qui nous plaisaient. Assez rapidement, nous avons eu une attirance commune pour les visuels des cassettes de Detriti Records, proche de notre esthétique DIY. Jusqu’à présent, nous nous sommes débrouillé.e.s avec nos petites mains et celles de nos ami.e.s lorsque nous avions besoin de visuels, mais avec cet album, nous entrons aussi dans une nouvelle dynamique avec un enregistrement studio plus professionnel. C’est donc très logiquement que nous avons aussi voulu déléguer la réalisation du visuel à une personne dont c’est le métier.

On fait du post-punk, mais ça ne veut pas nécessairement dire qu’il faut que ce soit dark.

Bengal

L’envie principale qui nous a aiguillé dans le choix de l’artiste, c’était de faire ressortir le côté lumineux du message que l’on veut véhiculer. Certes, on fait du post-punk, mais ça ne veut pas nécessairement dire qu’il faut que ce soit dark. C’est comme ça que le travail d’Alice Monvailler est ressorti des différentes propositions. On a découvert son travail lors d’un passage aux ateliers du TONER (un atelier coopératif d’auto-édition bruxellois qui fonctionne sur le principe de mutualisation des machines et des expériences). Ses motifs, sons style, ses couleurs – particulièrement ses accords des jaunes avec différentes nuances de violet dans ses réalisations – les éléments abstraits, les textures… Tout ça collait vraiment à ce qu’on recherchait.

Self-love, empowerment, sororité, force sauvage…

La suite c’est fait assez naturellement : nous l’avons contactée via sa page Instagram pour parler du projet, de détails qui nous plaisent dans ses réalisations, de nos chansons qui abordent les thématiques du self-love, de l’empowerment, de la sororité, de la gestion de l’hypersensibilité, de la force sauvage… et elle était partante. On lui a aussi bien sûr envoyé nos morceaux. Nos directives étant à la fois très abstraites et à la fois portées sur des éléments de détails (comme l’envie d’une texture effet risographie ou l’absence de « personnages » — un défi qu’elle a accepté de relever car c’est malgré tout une récurrence dans ses compo) elle s’est laissé inspirer directement de son ressenti en écoutant l’album et nous a fait deux premières propositions.

Précisons qu’à ce stade nous n’avions pas encore défini le titre de l’album et qu’il est arrivé en même temps que les propositions d’Alice. L’un de ses croquis présentait un puits d’où sortent des roses avec des épines. Son idée était de mélanger quelque chose d’organique avec quelque chose de plus dur/architectural pour représenter le contraste entre la musique et les thèmes abordés. C’était exactement ça ! Avec cette direction et le nom de l’album shiv (surin), Alice pouvait maintenant se lancer dans la composition graphique de la jaquette (ledit surin a d’ailleurs trouvé sa place sur le rabat de la cassette). La suite était affaire de détails (comme choisir d’écrire « shiv » en minuscule car cela rendait bien graphiquement avec la police choisie et avait une cohérence symbolique avec le petit couteau qu’il désigne) et d’échanges à base d’annotations avec des flèches sur des fichiers Photoshop.

Et voici le résultat. »

Le son

Dans la plus pure tradition Riot grrrl (Bikini Kill hier, Savages et Jehnny Beth aujourd’hui ?) qui conteste et qui hausse le ton pour faire entendre sa voix (comment la faire entendre, sinon ?), les membres de Bengal sortent l’arme blanche et menacent, depuis la capitale bruxelloise, de taillader quiconque voudra encore imposer la loi du plus bien membré. Le son est post-punk, l’énergie se fait parfois mélodique, et les textes sont semblables à ceux d’une « Sorcière » (l’un des morceaux phares du disque) qui n’aurait pas terminée, en des temps plus obscurs, sur le bûcher, et qui serait devenue l’une des « Sisters » d’une grande lutte qu’il convient de mener, aussi, par le biais de la musique punk. Les roses piquent un petit peu lorsqu’on les saisit par la tige ? La lame des couteaux, elle et on le rappelle, peut sectionner, si elle est mal tenue, une partie entière de la phalange…

Bengal (Facebook / YouTube / Bandcamp)

Alice Monvaillier (Site officiel / Facebook / Instagram)

Bengal, shiv, 2020, Wild Goose Chase, 29 min., artwork par Alice Monvaillier