Nicolas Godin x Iracema Trevisan — Concrete and Glass


Une passerelle aboutissant à une oasis paradisiaque, Nicolas Godin bien calé, centré, entouré par les eaux, le regard détendu et lointain… la pochette de Concrete & Glass, second album solo du cofondateur du groupe AIR, devait être à l’origine une photo pour nourrir le feed Instagram du musicien, avant de se retrouver imprimée sur le disque afin d’entourlouper bon nombre d’auditeurs et de rendre un hommage à l’âge d’or du music business.

Trompe-l’œil musical, trompe-l’œil visuel

Selon l’encyclopédie en ligne Wikipédia « Le trompe-l’œil est un genre pictural destiné à jouer sur la confusion de la perception du spectateur qui, sachant qu’il est devant un tableau, une surface plane peinte, est malgré tout, trompé sur les moyens d’obtenir cette illusion. » Nicolas Godin a mis toute son expérience musicale accumulée au long de ses 25 ans de carrière, en solo comme avec son groupe AIR, au profit de ce procédé pour déjouer l’oreille de l’auditeur, comme il nous l’explique.

Nicolas Godin © David Zagdoun

« Je n’avais pas comme plan de carrière de me lancer dans une carrière solo. Ce n’est donc pas évident pour moi d’apparaître sur une pochette. Et puis un jour en vacances, ma fiancée a pris cette photo de moi sur une passerelle. À la base, c’était juste censé être une photo pour Instagram ». Au-delà de l’histoire anodine de la photo de vacances qui devient la pochette d’un album — au même titre que Les Chansons de L’innocence Retrouvée d’Étienne Daho par exemple — Godin voit ici un hommage aux Compass Point Studios.

Sous-sol & Bagnolet

Créé par Chris Blackwell en 1977 – une époque bénie pour le music business – ce studio implanté à Nassau aux Bahamas verra bon nombre d’artistes (de Police à Roxy Music, de Robert Palmer à Grace Jones) venir y enregistrer avec la crème de la crème des musiciens et des moyens surdimensionnés. « Ça m’attirait, je savais que c’était quelque chose qui était terminé dans l’histoire de la musique. Maintenant, il n’y a plus ces gros studios, on fait des disques beaucoup plus bricolés. Je voulais renouveler un peu avec ce rêve-là. Quand on regarde ma pochette, on se dit que c’est un disque fait comme ça. Alors que c’est un disque qui a été fait dans un 9m2 dans un sous-sol à Porte de Bagnolet ! »

Le fantasme, c’est un bon moteur pour faire un disque

Nicolas Godin

« J’ai 50 balais, je fais de la musique sur ordinateur depuis 25 ans. J’adore le côté magicien des musiciens, le côté ‘fake’. Arriver à faire croire à quelque chose qui est complètement irréel. Si tu règles bien tes reverbs, tes sonars, tes fréquences de bas, que tu mets ton son de basses au bon moment, tu arrives à faire un truc qui sonne, “sound expensive” alors qu’en fait, c’est fait avec des bouts de ficelles. »

Godin a toujours été un bidouilleur, chérissant le home studio et se projetant dans d’illusoires studios à la réputation mondiale. « Je trouvais ça marrant de vivre le rêve, j’ai toujours fonctionné comme ça. Quand j’ai fait Moon Safari [le premier album solo d’AIR, sorti en 1998, NDLR], j’imaginais que j’étais à Los Angeles et que je kiffais dans de super studios. Alors qu’à l’époque, je n’avais jamais fait de disque de ma vie et n’étais jamais allé aux USA. Je trouve que le fantasme, c’est un bon moteur pour faire un disque. »

Les fantasmes, parfois, peuvent se réaliser. Est-le cas ici ? Concrete & Glass est en tout cas une forme d’accomplissement, celui du jeune Nicolas Godin, ancien étudiant en architecture à l’école de Versailles, passionné par ces perspectives incarnées par de nobles matériaux créant alors des bâtiments, au carrefour de l’organique et de l’imaginaire. Ce second album a commencé avec l’exposition Architectones de Xavier Veilhan

« Xavier avait comme projet d’exposer dans des maisons de l’histoire de l’architecture moderne, voir moderniste, pour être plus précis. Il m’a demandé si j’avais des idées musicales, parce que lui adore travailler avec des musiciens. Il savait que j’étais passionné d’architecture, que j’avais fait des études d’architecte. Naturellement, je me suis mis à bosser sur l’exposition, mais sans jamais vraiment penser à faire un disque avec », explique Nicolas Godin. Le musicien va donc produire des morceaux en fonction des différents lieux de l’exposition de Veilhan. Un titre pour habiter la Sheats Goldstein Residence de John Lautner située à Los Angeles, ou encore l’éponyme « Cité Radieuse », pour représenter le fameux édifice du Corbusier, emblème du quartier Sainte-Anne à Marseille.

Franc-maçon

Après l’exposition de Veilhan, Godin s’est donc retrouvé avec beaucoup de matière musicale, qui plus est sur un sujet qui l’habite depuis l’enfance. Il a donc décidé de bâtir un album, comme on dessine et construit une maison. « Mon père était architecte. Il m’a toujours expliqué que ce qui était beau, c’était l’espace défini par les murs. Les murs servaient à définir un espace, et c’est exactement la même chose entre les notes en elles-mêmes. Une note n’existe pas, mais quand tu la mets en face d’une autre note, alors elles créent ensemble un espace qu’on appelle “l’accord”. C’est ça, faire de beaux accords : c’est trouver les bons espaces entre les notes. Ça c’est pour la composition mais après il y a la mise en son, où là effectivement tu rajoutes la troisième dimension, où tu peux mettre une base centrale, les sons en hauteur, sur les côtés. Tu construis physiquement quelque chose et ça, c’est génial. Surtout que dans la musique électronique, on fabrique nos sons : en plus d’être des architectes, on est des maçons. On construit la matière. »

Dans Contrepoint, son premier album solo paru en 2015 (dont la pochette était déjà conceptualisé par Iracema Trevisan, sa fiancée, designeuse et ancienne bassiste du groupe d’électro-pop brésilien CSS), Nicolas Godin explorait une technique de Jean-Sébastien Bach, présente dans beaucoup de morceaux pop aujourd’hui, le contrepoint donc. Un savoir-faire qui consiste à composer des morceaux au sein desquels chaque instrument a une ligne mélodique distincte. Une fois toutes ces mélodies jouées ensemble, elles donnent l’harmonie parfaite du morceau. « Je devais le faire depuis longtemps, mais je n’avais pas eu le temps parce que AIR a marché dès le début. On a été pris dans un tourbillon d’activité. Tout d’un coup, j’avais envie de payer mon dû à Bach. Alors que Concrete & Glass je reviens à mes fondamentaux, à ces notions d’espace, de vide. »

Des fondamentaux mis au service d’une exposition, puis transposés sur un album. Un exercice périlleux quand le socle est fait de sujets aussi techniques, voir de niche. « C’est un disque qui a pour base l’architecture et l’art contemporain. Mais je tiens à ce que l’on puisse l’écouter sans rapport avec le projet original. Je me rappelle très bien quand on avait fait avec AIR la bande-son de Virgin Suicide. Je voulais alors vraiment qu’on puisse écouter le disque sans le film. Même si je trouve le film génial, un disque doit avoir, pour moi, une vie indépendante. J’écoute rarement des soundtracks, j’ai besoin que le disque en lui-même puisse exister. »

J’ai besoin que la musique soit sexy, soit sensuelle

Nicolas Godin

Aux travers des dix titres de cet album, Nicolas Godin s’est fait un malin plaisir à brouiller les pistes. En invitant de nombreux artistes afin de poser des voix, comme Kadhja Bonet, Alexis Taylor ou le discommuniste Cola Boys. Kirin J Callinan fait lui aussi une apparition sur « Time On My Hands », et a même enregistré ses voix en tenue d’Adam, car, selon lui, ses meilleurs lignes de chants sont effectuées sans pantalon. Pourtant, l’album reste du pur Godin aérien, un son façonné depuis maintenant des années, avec toujours cette idée de ne pas créer l’ennui. « Je ne veux pas qu’on s’emmerde en écoutant ma musique (…) J’ai besoin que la musique soit sexy, soit sensuelle. J’ai grandi comme ça, mon éducation je l’ai fait avec de la musique super pop, finalement. »

Nicolas Godin © Camille Vivier

Nicolas Godin (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram)

Iracema Trevisan (Site officiel / Twitter)

Nicolas Godin, Concrete and Glass, 2020, Because Music, 46 min., artwork par Iracema Trevisan