Mou x Romain Lemé — Bijoux d’amour


La vie ordinaire dont on fait un sujet à part entière (le garçon semble apprécier, dit-il, la saveur du croissant au beurre), mêlée à une vision, décalée et amusée, de sa propre existence. Les chansons de Mou, cuistot lancé dans la pop rétro et inclusive (certains, et ils n’auront pas tort, y verront une proximité forte, c’est une tendance, avec le hip-hop), s’amusent d’elles-mêmes et un peu des autres, jouent avec les codes, les images et les mots (son précédent EP s’appelait Full sentimentale en référence à Souchon, et celui d’avant Royal Calin, en référence… au fabricant et fournisseur de nourriture pour chats et chiens), surfent sur une vague, douillette et honnête, qui dit que la pop de ce côté-ci de l’univers peut, elle aussi, coller à ce que l’on appelle le cool.

Pulps fictions

Des petites histoires et de grands sujets (son amour, intense et désormais assumé, pour l’actrice Sophie Marceau) portés par des lyrics flamboyants (« Sophie Marceau, est-ce que ça boum ? »), et une pochette qui dit, elle aussi (le contraire eut été étonnant) un second degré certain. Mou s’est ainsi branché avec Romain Lemé, dont on avait déjà dit quelques mots sur ces pages lorsqu’il avait fallu évoquer son travail pour Raphaël D’Hervez (producteur de ce disque de Mou) et pour Pégase, un graphiste dont les dessins accordent une place cruciale, là aussi, à cette petite distance qui permet de se moquer grandement de soi-même. Benjamin, aka Mou :

« Avec Romain, qui avait déjà réalisé  la pochette de mon premier EP « Full sentimental » sorti uniquement en digital, on est juste partis sur des éléments que je voulais que lʼon retrouve dans lʼillustration, ils correspondent aux différentes tracks présentes sur le projet. Dernier élément « imposé » cʼétait moi en costume rose, il mʼa ensuite envoyé un premier jet sans couleurs et cʼétait banco, je nʼavais absolument rien à dire une fois la pochette terminée. »

Mou x Romain Lemé — Full Sentimental

Romain Lemé, figure importante de la scène pop nantaise qui gravite depuis des années autour du label FVTVR Records (Pégase, Rhum for Pauline, Ed Mount, Ricky Hollywood…), fut un temps le troisième membre du groupe Minitel Rose, projet synthpop aux artifices rétro-futuristes qui avait eu, à l’époque de la sortie de son premier album, son petit succès (l’album The French Machine notamment, en 2010). On a vu ses dessins associés à Romantic Warriors ou à Albinos Congo, et s’affirmer, sous le nom de Romain Figaro, via cette série franchement intriguant mettant en scène… des bagnoles dans des piscines (passion piscine pour ce garçon ?). Le pétrole dans la flotte, et les idées bien au chaud.

« Avec Mou, nous admirons chacun le travail de lʼautre et partageons un amour commun à propos de lʼunivers culinaire, les chiens (que jʼai au paravant mis en avant dans mes dessins), le rap et également ce que je qualifierais de monde de rêveries, de flottement, quelque chose de nébuleux. Je retrouve ces sensations dans ses textes et son interprétation qui lui est propre. Cʼest également ce que je recherche dans mes illustrations, créer avec des aspects pop quelque chose de quasi impalpable, de lʼordre du fantasme. La fusion de nos deux univers était donc, comme il le dit, assez évidente. »

Mou © Gregg Bréhin

La réalité, le fantasme… et l’entre-deux

Fantasmagorique, cette pochette ? Compliqué de prétendre l’inverse. Car si Mou n’a pas encore décroché une Victoire de la Musique avec ce premier album (« Maman je n’irai pas aux Victoires de la Musique, tu ne me verras pas éteints la télévision », tient-il à prévenir en ouverture de son disque), il n’a pas non plus encore eu la possibilité de se payer un appartement avec piscine intérieure et vu panoramique sur la mer. En attendant, celui qu’il présente fièrement sur la pochette, orné de ses plus beaux habits roses (des habits qui ont déteints sur ces cheveux, semble-t-il) apparaît comme un musée à ciel ouvert sur les morceaux d’un disque qui cale certains de ses sujets (une Victoire de la Musique donc, mais aussi un katana ou cette couverture sous laquelle on se cache lorsqu’il n’est plus question de bouger de chez soi) dans un espace presque conforme à la réalité vraie. Parce que le plus important, ça reste tout de même ce qui se passe à l’intérieur de notre crâne, que celui-ci soit teinté, ou pas, d’un rose non-conforme.

Le son

Une nonchalance poétique, décalée, douce et rêveuse place le chanteur et musicien Mou dans la lignée de ses contemporains (de Flavien Berger à Muddy Monk, de Miel de Montagne à Philippe Katerine, de Lomepal à Voyou) qui font fi de la distinction traditionnelle entre musique pop et hip-hop, et proposent une vision cumulée des deux. À Nantes, la pop continue décidément de se redéfinir, et d’avancer au sein d’une liberté artistique totalement débridée. Saluons une nouvelle fois le travail de FVTVR Records, ce label qui ne lâche rien en terme d’inventivité pop et qui continue à graviter, depuis des années, à travers son propre chemin. Celui du Futur ? A priori.

Mou (Facebook / Instagram / YouTube / Soundcloud)

Mou, Bijoux d’amour, 2020, FVTVR Records, 36 min., artwork de Romain Lemé