The Soft Moon x Marion Constentin — Criminal


En littérature, on a tendance à considérer comme acquis que la première œuvre de quiconque se déclare auteur (de mots, donc) parle, ouvertement ou en sourdine, avant tout de soi. Plus cathartique encore que ce qui sera produit ensuite (car une production artistique est rarement totalement détachée de son propre moi), elle est l’œuvre qui libère, qui oxygène, qui permet de s’extraire de la tentation, insupportable, de n’écrire que sur soi. Place aux autres, désormais.

Confessionnal

Chez Luis Vasquez, le brillant et sombre auteur de The Soft Moon (post-punk dur, krautrock névrosé, shoegaze noisy, techno mélodique), c’est exactement l’inverse qui est en train de se produire. Porteur d’un passé particulièrement traumatique (dans le désert des Mojaves, au sud de Los Angeles, où il a dû grandir il y a une trentaine d’années, l’enfance fut triste, violente et douloureuse), le multi-instrumentiste américain a d’abord sorti deux albums bourrés de traumas, où la voix n’était qu’un instrument parmi d’autres, noyée sous des avalanches de couches synthétiques, bruitistes, parfois mélodiques. Et si Deeper, ce troisième album sorti il y a trois ans, avait commencé à mettre en avant le chant, spectral et lointain, de son géniteur, rien de comparable à ce qui se produit avec la sortie de Criminal, un album qui ne sort non plus chez Captured Tracks comme les trois précédents, mais chez Sacred Bones Records, et qui affirme cette fois, dix ans après la parution de ses premiers disques, la volonté d’une confession maximale, véritable, assumée.

Dans Criminal, Luis Vasquez orchestre en effet son propre jugement (car c’est bien lui le criminel de sa propre histoire), et tente de régler les sentiments de honte, de culpabilité, de détestation de soi, ces considérations désastreuses et autodestructrices qui ne l’ont pas quitté depuis la petite enfance. Il y raconte cette guerre, déchirante, menée parfois contre lui-même, à ces instants où il dût combattre pour ne pas trop faire vaciller sa santé mentale et ne pas tomber dans l’oubli émotionnel trop féroce, et cette force qui lui permit, jusqu’à aujourd’hui, de tenir encore debout. Un travail éminemment courageux pour le Californien.

Parloir

Ce n’est ainsi pas anodin que Luis Vasquez, pour la première fois de sa carrière (exceptons la photo accompagnant le single Feel, sur laquelle on le reconnaît à peine), apparaisse sur la pochette de l’un de ses disques, abandonnant les démarches purement graphiques ou ces images faites de collages fissurés utilisés auparavant, et assumant enfin l’œuvre absolument biographique. Tête baissée, visage fermé, regard perdu, habits noirs, Luis conçoit également ici, via cette représentation cloisonnée et repentie de soi, être le criminel à qui l’on aurait promis une remise de peine, si les plus grands de ses crimes étaient, toutefois, finalement divulgués au plus grand nombre.

Pas anodin, non plus, que le visuel en question donne l’impression d’être froissé, affiche désuète d’un bandit de grand chemin placardé un peu vite sur les murs de la ville, une affiche aux contours froissés, aussi, afin de signifier une évidence : certains egos, froissés par des traumas trop lourds à porter, nécessitent, en effet, un peu plus qu’une confession, même étalée sur l’intégralité d’un disque, pour se trouver au final parfaitement repassé…

The Soft Moon – Feel (2014)

Le son

Toujours porté par l’association de termes divergents, mais complémentaires lorsqu’ils sont mêlés avec autant de sombre expertise (du krautrock au post-punk, de la techno au shoegaze), Criminel est l’album confessionnal d’un esprit tourmenté, de la race de ces individus pour qui la création, musicale en l’occurrence, a sans doute plus de sens que pour d’autres. Un sens vital ici, certainement. Et puisque Luis Vasquez, auto-désigné criminel coupable, est aussi le juge de cette terrible affaire, le verdict paraît couru d’avance : son crime a lui aura été, un jour, d’avoir dû exister.

The Soft Moon (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram / Soundcloud)

The Soft Moon, Criminal, 2018, Sacred Bones, artwork par Marion Constentin