Prequel Tapes x Ksenia Mozhayskaya aka nomoreless – Everything Is Quite Now


Dans la masse informe, inutile et infinie, des images que le monde version 2018, combine et accumule au sein d’un flot qui paraît ne jamais avoir de fin (Facebook, Instagram, Twitter, YouTube, la télévision, la publicité digitale et physique…), certaines de ces images, par un miracle quasi divin, parviennent à se démarquer. Il ne s’agit pourtant ici que d’un poney, et d’une scène au coloris un peu fade, avec son ciel blanc et ses fils de fer forcément grisonnants. Mais au-delà de son esthétique pure et dure, c’est la force émotionnelle et symboliste de cette image, que l’on jurerait d’abord post-apocalyptique avant de comprendre qu’elle est contradictoire (ce ne sont pas des peaux de bêtes qui trainent dans cette serre, mais bien des draps déchiquetés), qui nous a contraint de nous y arrêter plus longuement qu’à l’accoutumée. Cette image, elle est l’oeuvre de l’artiste Ksenia Mozhayskaya, aka nomoreless, et a été fabriquée afin d’illustrer un disque dont le nom, lui aussi, brouille immédiatement les pistes (on lit « Everything Is Quite Now », mais on pense « Everything Is Quiet Now »). Ce disque est celui du producteur et DJ berlinois Marco Freivogel, qui joue sous le nom de Prequel Tapes, un duo (l’artiste sonore et l’artiste visuel) auquel on a, ainsi, posé quelques questions.

(c) Mathilda

D’abord, on a l’impression de se retrouver dans un abattoir. Mais ce n’est probablement pas le cas. Où est-on, en réalité ?

Prequel Tapes : La photo a été pris dans la ville d’El Palmar, en Andalousie par l’artiste visuel Ksenia Mozhayskaya aka nomoreless, au mois de janvier, pendant notre semaine de brainstorming pour notre spectacle au Festival Atonal de cette année à Berlin. À ce moment-là, l’album avait déjà été mixé et masterisé (par Peter Van Hoesen) et nous écoutions les morceaux encore et encore – surtout Ksenia – afin d’y entrer « visuellement parlant ». Nous avions aussi une petite routine, qui consistait à marcher le long de la plage chaque jour, jusqu’à parvenir à ce charmant bar d’où on pouvait admirer la mer. Là-bas, nous prenions toujours un très bon déjeuner (et nous étions aussi le plus souvent un peu saouls…) et nous sommes ainsi allés plus loin dans la profondeur des émotions, des expressions et des sentiments cachés dans Everything Is Quite Now. C’était comme un petit remède pour nous deux.

Le paysage de la photo prise par Ksenia se situait autour de la petite maison louée à côté de cette serre industrielle en panne. Dans cette zone, il y avait beaucoup de chevaux et de poneys en train de se détendre. Comme celui-ci, qui figure sur la photo, et qui aimait manifestement autant que nous l’endroit.

« Tout se passe en un instant, tout est maintenant »

Quel lien doit-on exactement voir entre cette photo et le titre de ce disque, Everything Is Quite Now ?

Prequel Tapes : Si vous regardez attentivement la photo, vous pouvez voir beaucoup de choses se passer. Le vent fait bouger le plastique et l’herbe, les choses se défont, le ciel change de couleur. Ce ciel, il est empli d’une certaine obscurité, mais il est aussi tout plein de beauté. Une forme de vie (celle du poney) s’y sent à l’aise, dans ce paysage, et a décidé de se reposer ici. Et puis, vous avez cette architecture si particulière, de ce fil de fer au gazon, et ce scénario qui se poursuit : tout se passe en un instant, tout est maintenant.

Ksenia Mozhayskaya : Lorsque vous vivez hors de la ville pendant un moment, au bord de l’océan, près de la nature, le temps semble se dérouler différemment. Vous commencez, intérieurement, à réduire la valeur des choses qui sont importantes dans la ville. La nature, c’est quelque chose d’extrêmement dynamique, et en même temps quelque chose d’éternel. Vous voyez les mêmes choses chaque jour, qui ne sont en réalité pas les mêmes. C’est en fait juste un unique moment de silence et d’harmonie. J’aime aussi le jeu de mots entre « quite » (assez) et « quiet » (silence).

La première fois que j’ai vu cette photo, j’ai pensé au Meat is Murder de The Smiths, ou au One Pig de Matthew Herbert. Sans doute parce que, comme je vous le disais d’abord, j’avais eu la sensation de me retrouver, ici, dans un abattoir…

Prequel Tapes : Vraiment ? Non, non il ne faut pas faire cette connexion-là, ce n’était pas l’idée. En terme d’artwork, il n’y a vraiment pas d’influence du tout. C’est juste arrivé. Ksenia a fait une photo formidable, et je l’ai adoré – comme j’adore l’ensemble de son travail, c’est un artiste incroyable. Cette photo a même changé le titre de mon album ! En terme de musique, en revanche, j’ai des tonnes d’influences – si vous jetez une oreille à mes mixes pour Secret Thirteen ou mes B2B pour NTS, avec Mumdance, vous le comprendrez. Je suis assez transparent sur mes influences. Je les aime et les respecte.

« Il y a quelque chose de post-apocalyptique, de calme, de tranquille »

Finalement, quel est le véritable sens de cet artwork ?

Prequel Tapes : Je laisse l’artiste répondre à cette question. Ksenia ?

Ksenia Mozhayskaya : Pour moi, c’est un véritable plaisir de travailler avec la musique de Marco, car elle a un tel niveau d’émotivité qu’elle m’amène, facilement, à voir des images derrière cette musique. Derrière cet artwork, en fait, il n’y a pas de réelle signification. Ce n’est qu’un moment. Je marchais dans la rue et ai vu cette composition surréaliste, une combinaison de nature et de reste de l’activité humaine. Pour moi, il y a quelque chose de post-apocalyptique, de calme, de tranquille.

Le son

« L’ennui, l’anxiété, les analgésiques et la frustration font un mélange enivrant pour la réflexion et l’action. Pendant trois semaines, j’ai regardé par la fenêtre de la tour les grandes tours de briques des anciennes cheminées de l’asile. Le passé était un pays étrange soudainement inaccessible, le présent confus et claustrophobe, le futur, quelque chose que je ne pouvais que visualiser et idolâtrer. » Âme sensible et torturée, Prequel Tapes trouve avec la musique electronica et la techno industrielle le moyen de s’extraire du vide existentiel qui paraît le dominer tout entier. « Dans les profondeurs d’une forêt brumeuse, la chaleur pénètre en absorbant toute la noirceur, la douleur, le romantisme et la beauté d’avant. » Disque brutal, disque tendre, disque ambivalent pour un esprit incontestablement brillant, parce qu’incontestablement différent.

English version

And for the english readers, this is the original interview withPrequel Tapes & Ksenia Mozhayskaya aka nomoreless :

At first we have the feeling of being in a slaughterhouse. But that’s probably not the case. Where are we ?

Prequel Tapes : The photo was taken in El Palmar/Andalusia Spain in January by Ksenia aka nomoreless during our brainstorm week for our show at this years Atonal Festival in Berlin. By then the Album was already mixed & mastered (by Peter Van Hoesen) and we listened to the tracks again and again – especially Ksenia – to get into them visually. We also had a little routine of walking down the long beach each day, until we reached this lovely bar where you could look over the sea, there we had always some nice lunch and mostly we got a bit drunk and went then even more into depth about emotions, expressions and hidden feelings in Everything Is Quite Now. It was like a little cure for the two of us. The scenery then for the picture that Ksenia shot, was just around the little house we rented which was next to this broken down industrial green house. In that area were lots of horses and ponies just chilling outside. This pony obviously liked the feeling of the greenhouse as much as we did – at least.

What is exactly the link between this artwork and the title of your record, Everything is quite now ?

Prequel Tapes : If you look at the picture you see a lot of things happening, even more if you have been there in the flesh. The wind is moving the plastic and the grass, things fall apart, the sky is changing colors  it has a certain darkness but it is also full of beauty, a lifeform (in this case a pony) feels comfortable and decided to rest in here. Then you have a certain architecture from the steal wire, on the grass the scenario continues – and everything happens in a moment, everything is quite now. Plus there is a word play, the word „quiet“ would make sense. The picture speaks of a distinct kind of silence to me.

Ksenia Mozhayskaya : When you as a towny spends longer time on the border of the ocean, near nature, the time begins to feel different. You start inwardly to reduce the values of the things that are important in the city. Nature is something very dynamic and eternal in the same time. You sea the same things every day, but they are never the same, this is only one uniq moment of silence and harmony. I also like this wordplay with « quite » and « quiet ».

The first time I saw this photo, i have think about Meat is Murder by The Smiths, or One Pig by Matthew Herbert. What were your influences ?

Prequel Tapes : Really? Dunno… Don´t get the connection at all.

In terms of artwork there was no influence at all. It just happened. Ksenia did a great shot and I loved it – as I do with all of her work, she´s an amazing artist. The picture even changed the title of my album. In terms of music I have tons of influences – If you dig my mixes for secret thirtieen or my b2b for nts with mumdance you will find out about it. 

I am pretty obvious about my influences. I love and respect them.

What is the real meaning of this artwork ?

Prequel Tapes : I pass this questions to the artist – Ksenia ?

Ksenia Mozhayskaya : It is a pleasure for me to work with the music of Marco because it has a lot of levels of emotionality and brings me to see pictures behind it. 

In this artwork, there is no real meaning, it is only a moment. I was walking down the street and saw this surrealistic composition, combination of nature and remnant of human activity. For me it has something post-apocalyptic in it, quiet and tranquility.

Prequel Tapes (Facebook / Instagram / Soundcloud / Bandcamp)
Prequel Tapes, Everything Is Quite Now, 2018, Gaffa Tape Records, artwork by Ksenia Mozhayskaya aka nomoreless