Boy Azooga x Ben Arfur – 1, 2, Kung Fu!


En 2018, à l’heure où les réseaux sociaux monopolisent les regards et les attentions, où les cultures se conforment largement, où les curiosités se détériorent à mesure que les écrans se multiplient, entendre un disque comme celui de Davey Newington, et se renseigner sur ce qui l’anime, s’avère être une véritable bouffée d’oxygène. 1, 2, Kung Fu!, le premier album de Boy Azooga (c’est le nom du projet) complexe, quoique pop, témoigne ainsi de la culture extrêmement solide et de la curiosité précieuse d’un garçon n’ayant pas dépassé la trentaine, mais qui semble prouver qu’il existe encore au sein d’une génération, intellectuellement en danger, quelques esprits suffisamment curieux pour aller piocher partout où il peut être bon de piocher afin de nourrir un esprit que l’on devine, et c’est évident, particulièrement vorace.

Savoir surfer

Bien élevé et bien né – l’un de ses grands-parents jouait de la batterie dans la Marine Royale, et ses parents, musiciens également, se sont rencontrés au BBC National Orchestra Of Wales -, le jeune Gallois, originaire de Cardiff, fait en effet partie de ceux qui ont su tirer profit non seulement d’un patrimoine culturel direct confortable, mais également des formidables possibilités techniques qu’offrent le web et les « nouvelles » technologies à ceux qui savent les utiliser à bon escient. Écouter le chant de ceux qui savent, et savoir où poser le clic pour en approfondir la compréhension.

Composé « dans sa chambre », comme on le dit des albums produits de manière complètement indépendante, comme l’avaient par exemple fait ces dernières années d’autres êtres semblables, comme Youth Lagoon ou C Duncan – 1, 2, Kung Fu! est ainsi, et la biographie accompagnant le disque nous l’apprend, autant influencé par Caribou que par Sly & The Family Stone. On cite aussi Black Sabbath, Outkast, The Happy Mondays, Ty Segall, The Beastie Boys, ou The Beach Boys. Un professeur d’art lui aurait également ouvert les tympans en lui faisant découvrir Age Bamyasi, le quatrième album du groupe de krautrock allemand Can, et le morceau « Face Behind Her Cigarette », incontestablement l’un des grands moments du disque, est carrément un hommage direct au Nigérien William Onyeabor, musicien virtuose au parcours énigmatique (succès soudain, disparition médiatique aussi) et qui participa grandement, avec Fela Kuti et descendance, à la postérité de la musique nigériane à travers le monde.

Afrique & Asie

Davey est un garçon curieux, on l’a compris. Cool aussi, à voir le ton de ses clips, les textes de ses morceaux (un type qui aime les filles qui fument des clopes ne peut pas ne pas être cool) et des photos postées sur son Facebook. Mais curieux surtout. Et cette curiosité, elle l’a notamment mené à s’intéresser – là encore, les ressources web facilitent les enrichissements intellectuels – aux musiques « africaines », lui qui assume, outre un intérêt soutenu pour la funk vitaminée d’Onyeaborn, une attirance toute particulière pour les disques sortis par Analog Africa, un label mené par un Allemand – Samy Ben Redjeb, basé à Francfort, encore un être à part – qui ressort, depuis une dizaine d’années, les disques et les sons oubliés d’un continent – l’Afrique donc – où la préservation de la culture, musicale notamment, a forcément été mis à mal au cours des dernières décennies par des troubles politiques particulièrement préoccupants et récurrents. Ces disques-là, qui comblent les trous laissés béants ça et là – au Benin, en Angola, au Nigeria… – ils sont également notables parce qu’illustrés avec une patte visuelle réelle. Ces disques, et les visuels qui les accompagnent, ils revinrent à l’esprit du jeune gallois au moment de plancher sur ce qui allait devoir être, à son tour, le visuel illustrateur de son premier album, finalement signé par l’un de ses amis, Ben Arfur, graphiste et designer franchement brillant et dont le travail témoigne, là encore, d’une attirance pour une esthétique « africaine » (il a signé des artworks pour Awesome Tapes From Africa, un autre défricheur de musique subsaharienne ancienne), et d’un regard tourné vers l’Asie du Sud-Est (comme pour son travail pour Boy Azooga, certains de ses visuels contiennent des typographies chinoises venues d’Asie). Joint par mail, Davey nous explique :

« L’artwork de 1, 2, Kung Fu ! est l’oeuvre de mon ami Ben Arfur, un artiste incroyable dont je suis un très grand fan. J’ai été inspiré par les artworks des sorties du label Analog Africa. J’aime les couleurs vives, le texte et la façon dont ils collent des photographies et des illustrations ensemble. Pour l’artwork de Boy Azooga, Ben a utilisé une vraie photo de moi avec mon dos tourné tenant un tambourin, et l’a multiplié. Pour moi, c’est comme une représentation visuelle de l’écho ! J’adore la couverture et je suis impatient de travailler avec Ben encore davantage à l’avenir ». On est impatient aussi tiens.

Le son

Parfois garage, parfois funk, parfois psyché, parfois electronica, le premier album de Boy Azooga aurait pu méchamment tanguer à force de regarder, comme ça, de tous les côtés, et dans toutes les directions en même temps. Il a toutefois su trouver son centre, et son point d’équilibre : Boy Azooga fait de la pop-music, et c’est e ne perdant jamais cette idée de vue qu’il parvient à livrer l’un des albums les plus étonnants, en terme de pop-music donc, de cette année 2018. 1, 2, 3 : hallelujah !

Boy Azooga (Facebook / InstagramTwitter / Soundcloud)

Ben Arfur (Site officiel / Instagram)

Boy Azooga, 1, 2, Kung Fu!, 2018, Heavenly Recordings[PIAS], artwork par Ben Arfur