John Grant x Jonathan de Villiers x Scott King – Love Is Magic


John Grant est un garçon particulier. Exubérant, lunatique, cynique et habité par de vieux démons (« souvent très gentil, aussi », ajoutent ceux qui ont eu l’occasion de le croiser), l’Américain a dû se confronter au monde ordinaire et à ses brutalités avant de pouvoir constituer le sien. Né au sein d’une famille un brin sectaire, dans une petite ville reculée du Minnesota (Buchanan, 5 000 habitants), où son homosexualité manifeste et assumée passait pour une bizarrerie dérangeante, John Grant a d’abord lutté contre l’oppression permanente du monde extérieur avec l’aide de complicités qui, généralement, font autant de bien dans le moment présent qu’ils font de mal dans celui d’après : l’alcool, les drogues en tous genres, et les paradis artificiels qui vous font finalement vivre l’Enfer. Il y eut aussi une confrontation, dont il est revenu, avec la maladie Sida, et une sexualité débridée qui faillit définitivement le perdre. Queen of Denmark, son chef-d’oeuvre paru en 2010 (meilleur album de l’année pour le magazine anglais Mojo), revenait sur ces périodes de doutes et de déroutes, et sur ces malaises existentialistes combattus, enfin, avec l’aide d’un camarade efficace : la musique, et ce songwriting bizarre (lyrics lucides et névrotiques posés sur un folk synthétique et malade), qui devait canaliser, un brin, les maux complexes du passé.

Troubles

Légèrement canalisés, ces calvaires mentaux s’avèrent cependant toujours bien présents, et toujours bien visibles dans l’oeuvre de l’artiste américain, désormais installé bien loin de son Minnesota natal, en Islande. On l’entend sans surprise dans le son, et on le voit aussi à l’image. Coiffé par une couronne en papier sur le visuel très spectral de Queen of Denmark, John Grant devait se montrer par la suite en intellectuel soucieux (Pale Green Ghosts), ou en individu habité par une force occulte (Grey Tickles, Black Pressure). Mais c’est sans doute l’artwork livré pour illustrer son quatrième album – Love is Magic – qui illustre le mieux la complexité du personnage John Grant. Les troubles internes du garçon, tellement visibles en externes, sont symbolisés par cette cage d’oiseau, dans lequel son visage est enfermé. Sur son corps, tendu, des plumes, qui peuvent renvoyer à celle d’un oiseau (d’où le lien avec la cage…) mais aussi au sort que l’on réservait « traditionnellement » aux extravagants dans ce Far West tellement réutilisé par la culture populaire, là où l’on recouvrait les corps non désirés par la communauté de goudron et de plumes…

Le Far West d’il y a quelques siècles, et le Minnesota d’il y a quelques années pour John Grant ? Toujours est-il qu’en guise d’échappatoire, et cela le regard de l’artiste en témoigne, c’est vers le micro, et donc vers la musique, que l’Américain a pris soin de s’orienter…

Cet artwork, franchement glauque et symboliquement brillant, il est l’oeuvre d’un duo (Jonathan de Villiers pour la photo, et Kitty Walker en guise de « mood advisor ») qui, ajouté à un autre individu (Scott King pour la direction artistique), forme un trio. Joint par mail, ce dernier nous le raconte, cet artwork détraqué :

Du rameur au « son parfait »

« Le concept de l’artwork est apparu très rapidement. Le processus a même été complètement indolore. J’ai rencontré John au début du mois de janvier de cette année. Nous avons discuté de ses centres d’intérêt : les manèges extrêmes en montagnes russes, les American Muscle Car classiques, les insectes exotiques, les joueurs de football costauds et sa nouvelle passion pour les salles de sports, et en particulier pour un rameur dont il semblait particulièrement obsédé…

J’ai tout de suite laissé entendre que la couverture pourrait n’être qu’une image très simple, de lui sur le rameur, peut-être même accompagnée d’un DVD gratuit, « Work Out With John Grant » ou quelque chose du genre. Nous avons discuté de ces idées pendant une semaine ou deux, puis nous nous sommes revus. Cette fois, il m’a tout raconté sur son processus d’enregistrement. Et j’étais fasciné.

Il a raconté avec une grande passion comment il avait passé toute sa vie adulte à la recherche de ‘The Untarnished Sound’ – un son si pur et parfait qui, croyait-il, pouvait plonger l’auditeur dans un état de transcendance spirituelle. À partir de là, il m’a semblé évident que ce qu’il fallait faire, c’était de photographier John en studio, à la recherche de ce son.

Je n’avais aucune idée des extrêmes vestimentaires auxquels il était confronté, ni du type d’exercices d’humeur qu’il s’était lui-même soumis lors de l’enregistrement, mais bien sûr, tout cela n’a fait qu’ajouter à l’intensité de l’image…et nous avons tous été très satisfaits du résultat ! »

Le son

Cette fois, avec la parution de Love is Magic, John Grant épouse pleinement ces sonorités électroniques et synthétiques qu’il s’était contenté de caresser, de loin, sur ses précédents essais. De plus en plus proche d’un congénère tout aussi malade, John Maus, John Grant propose ainsi un nouvel album abouti, porté par quelques instants effectivement magiques (le single éponyme, notamment), et qui confirme une idée très nette, celle qui consiste à dire que c’est des esprits les plus bizarres qu’émanent, souvent, les idées les plus élégantes.

John Grant (Site officiel / Facebook / Twitter / YouTube)

John Grant, Love is Magic, 2018, Bella Union / [PIAS], artwork par Scott King (direction artistique), Jonathan de Villiers (photo), Kitty Walker (mood advisor)