Joyfultalk x Jay Crocker — A Separation Of Being


Il y a des guitares, des basses, des cithares, des trompettes, des flûtes à bec, des pianos, des dizaines de sortes de claviers et de synthés, des batteries et des éléments percussifs à n’en plus finir, et des logiciels, désormais, qui permettent de tout reproduire, ou presque, d’imiter le son du violon Stradivarius comme celui d’un orgue d’église, des banques de sons dont les producteurs les plus paresseux se servent jusqu’à l’agonie (de leur musique ?). Et puis le réel, dans lequel on peut piocher pour le sampler, le reconstruire, en proposer sa propre vision.

Créer ce qui n’existe pas encore

Mais pour certains, ce n’est pas assez. Ceux-là, le son qui circule dans leur tête n’a pas encore été inventé, soufflé, prononcé par d’autres, ou en tout cas pas à leur connaissance. Ce son-là, il convient de le créer et même, de créer l’instrument qui permettra au son qui ne circulait alors que dans la tête d’un seul de parvenir dans la tête des autres.

Jay Crooker en fait partie, de ces esprits qui pensent des sons qu’il serait bien difficile de créer sans un apport personnel plus engagé que d’accoutumée. Semblable à un Pascal Comelade, qui aime jouer sur ses albums avec des instruments destinés à de petits enfants, le Canadien (il habite avec sa famille, dit-il, une maison isolée de la Nouvelle-Écosse, à l’extrême est du Canada) Crooker fabrique ainsi de petits instruments (et même de très gros, comme le Bibelot qu’il présentait par le biais d’une exposition au Centre Phi de Montréal) qu’il utilise ensuite sur les disques qu’il présente sous le nom JOYFULTALK. Pourquoi faire compliqué, lorsque l’on peut faire ce qui semble impossible ?

Joyfultalk, Plurality Trip (2018)

Nécessairement, un artiste qui créé les propres instruments qui lui permettent de fabriquer sa musique se charge aussi de ses propres visuels, en témoigne la création qu’il avait déjà associée à son album Plurality Trip (2018). Aussi, celui, exalté, géométrique et magnifique, qui illustre A Separation Of Being, est extraite d’une immense fresque murale colorée mesurant en réalité, non pas 33 centimètres sur 33, mais près de deux mètres. Le garçon, on l’a compris, est un être polyvalent.

Kaléidoscope

Sur cette composition ultra colorée et extatique, trois espaces signifiants les trois temps de ce disque divisé donc en trois morceaux distincts, et une partition, que l’on repère en y regardant de plus près. Une partition de quoi ? Eh bien de l’album en lui-même, tissant un lien logique, cyclique, complet entre cette fresque kaléidoscopique visuelle et ce disque complexe, condensé d’influences japonaise, maghrébine, folk américaine, et qui rappelle, dans leurs jours les plus délirants, les minimalistes Steve Reich, Philip Glass ou Terry Riley.

Le disque, et personne ne sera surpris de l’apprendre, est sorti sur Constellation Records, le label de Godspeed You! Black Emperor, Jerusalem in My Heart ou Joni Void, le genre de maison où il est possible d’arriver, et ce n’aurait certainement pas été le cas partout, avec une telle proposition artistique…

Joyfultalk (Site officiel / Facebook / Bandcamp / Instagram / Twitter)

Joyfultalk, A Separation Of Being, 2020, Constellation Records, 34 min., artwork par Jay Crocker