Idles x Russell Oliver — Ultra Mono


Raillé par ses contemporains (ses adversaires ?) de la scène punk anglaise qui râlent contre ces petits bourgeois qui s’appropriaient et récupéreraient, selon un certain point de vue, les soucis de la classe prolétarienne britannique (The Fat White Family et surtout Slumford Mods leur en mette parfois plein la tête…), Idles fait de la musique de bad boys et scande des paroles empreints de très bonnes manières, progressistes et clairement ancrées à gauche. Bien-pensants, Idles ?

Il faut accueillir comme il se doit les migrants, combattre les homophobes et les masculinistes toxiques, se montrer gentils avec maman ou papa (le clip de « A Hymn » met en scène les membres du groupe avec leurs parents, comme ce fut le cas jadis sur une couverture culte du magazine Actuel, « Les jeunes gens modernes aiment leur maman »), combattre la haine par le biais de la plus pure gentillesse (« And I’ll kill them with kindness », chantent-ils).

And I’ll kill them with kindness

Idles

« La dernière chose dont notre société de plus en plus puritaine ai besoin aujourd’hui, c’est d’un groupe de boobs auto-émasculés de classe moyenne nous expliquant qu’il faut être gentil avec les migrants. Vous pouvez penser que c’est de l’art, moi je trouve ça pompeux et prétentieux. » Voilà pour l’avis, par exemple, des Fat White sur les Idles, alors que Jason Williamson (le frontman à la gouaille frondeuse de Sleaford Mods) leur reprochait de « s’approprier la voix de la classe ouvrière », jugeant leur prises de positions « clichées, condescendantes, insultantes et médiocres ». Faut-il venir des marges ou avoir le portefeuille aussi vide de ceux que l’on défend pour partager les luttes des autres ? « On essaye simplement d’ouvrir des discussions à propos de politique et de culture. On veut créer une compréhension de chacun dans le but de rendre la Grande-Bretagne meilleure. », affirmait le chanteur et guitariste Joe Talbot à La Vague Parallèle.

Punk pictural

Le peintre Russell Oliver — qui lui, assume être de droite, et s’amuse de l’écart entre ses idées à lui et celles du groupe — est l’auteur de cette peinture commandée par le groupe et devenue la pochette d’Ultra Mono, le troisième album d’Idles. Il succède au père de Joe, Nigel Talbot, qui avait conçu la pochette profondément cathartique de Brutalism. Il avait déjà proposé l’une de ses œuvres afin d’accompagner le single « Mercedes Marxist », figuration d’un Che Guevara à la figure horrifique et hurlante.

Interviewé par le magazine Ourculture sur cette pochette d’Ultra Mono, il dit : « Joe [Talbot] savait exactement ce qu’il voulait : un gars torse nu, les bras à ses côtés, sans défense, frappé au visage par une boule rose bonbon (…). La peinture — ou le concept derrière la peinture — se rapporte, pour le groupe et pour Joe, à l’idée d’amour inconditionnel d’acceptation de tous, y compris leurs critiques, ou leur opposition politique, ou pour d’autres groupes qui se sont peut-être positionnés comme des rivaux ou des adversaires ».

Russell Oliver — Ultra Mono (brouillon)

Une énorme boule de gentillesse dans la tronche de ceux qui l’ouvrent dès que vous l’ouvrez afin de pointer à quel point ce qui en sort est ridicule ? La pochette, qui contre dans la douceur les attaques des autres comme ceux qui se trouvent dénoncés (les masculinistes notamment, sur le single « Ne touche pas moi » avec Jehnny Beth de Savages) dans cet album coup de boule (de chewing-gum ?), fonctionne parfaitement et a été accompagné d’un teasing très drôle sur les réseaux sociaux. Russell Oliver, lui, est ravis :

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16 JUNE 2020 IDLESBAND.COM

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« Peindre la pochette de l’album Ultra Mono a été une expérience formidable. C’est une joie d’être chargé de donner vie à la vision d’un autre artiste talentueux, en particulier pour un ami, et un honneur de se voir confier cette responsabilité. Ce qui est fantastique à propos de la production d’une pochette d’album pour un groupe extrêmement populaire, en tant qu’artiste, c’est que ma peinture va être vue infiniment plus largement que n’importe laquelle de mes œuvres précédentes et au moins sous forme imprimée, appartenir à des milliers de milliers de personnes à travers le monde — c’est un véritable buzz. »

Le son

« Fuck you, I’m a lover », chantaient il y a deux ans Joe Talbot sur « Danny Nedelko ». La tirade reflétait hier idéalement l’idéologie d’Idles comme le reflète idéalement aujourd’hui cette pochette rose bonbon et anti casse-bonbons qui rappelle l’un des préceptes centraux du groupe : la colère n’est pas la haine mais plutôt la lutte. Et celle-ci peut non seulement se faire via la rage des guitares, des beuglements humains et des riffs criards, mais aussi par le regard posé dans ceux qui ont parfois besoin de la chaleur des autres pour se réchauffer l’âme. Punk is kindness ?

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Russell Oliver (Instagram)

Idles, Ultra Mono, 2020, Partisan Records, 43 min., artwork de Russell Oliver