Fakear x Fake Paper — Everything Will Grow Again


Longtemps, Théo Le Vigoureux, dont le nom de scène renvoie, en arabe, à une certaine idée de la pensée et de la sagesse — le mot « fakir » qui a donné Fakear — a été le porte-étendard, en France, d’une certaine idée de la musique chill-out, aérienne, introspective, organique. Deux albums dans le genre — le très indé Animal et le plus pop All Glows — ainsi qu’une panoplie d’EP aux très beaux succès — Morning in Japan, Dark Lands, Asakusa ou encore Sauvage, où figurait son tube « La Lune Rousse » —, et un son purement électronique qui tenait, ainsi, à laisser une place fondamentale à ce qui est organique, et ce jusque dans les visuels des pochettes qui peuplaient son environnement fait de voix saccadées, de rythmes syncopés, de sonorités venues de partout.

Taxidermie et perroquet ara

Fakear, croisé en 2016 un soir de Fnac Live, à l’intérieur de l’Hôtel de Ville à Paris, à l’époque où il défendait sur scène son album Animal : « Fakear, dans ma tête, ça a cette dimension un peu jungle, un peu sauvage, un peu animal. D’où le titre de l’album. Et d’où aussi le fait que je voulais retranscrire ça sur la pochette. Je voulais que la pochette de ce disque soit un bel objet, qui reste instinctif sans être intimident. (…) On a discuté avec Nowadays où l’on pouvait trouver des textures d’animaux comme ça sans se déplacer au Kenya ou autre part en Afrique. Et ils ont eu l’idée du taxidermiste. »

Un taxidermiste ? On s’y était directement déplacé afin d’y récupérer ce perroquet ara au plumage magnifiquement bleuté qui avait directement servi la pochette d’Animal, et on l’avait exposé, avec les autres visuels qui constituaient à l’époque le catalogue du label Nowadays, lors de l’exposition qu’on organisait galerie Arts Factory, à Paris.

Après avoir habité trois ans du côté de Lausanne, là où la nature est proche et où l’esprit peut ainsi s’aérer plus facilement, Fakear est revenu à Paris, côté canal de Saint-Martin, où le retour à la vie citadine a laissé envisager la création d’un son nouveau, et le renouvellement d’un univers sonore qui, à force de fouiller ce son qu’il avait tellement défendu durant des années à travers les nombreux concerts qu’il avait donnés, commençait doucement à tourner en rond.

Everything Will Grow Again : le son du quatrième album de Fakear (avant le succès, il y avait eu les premiers essais et l’album Washin’ Machine en 2012, plus hip-hop et downtempo que ce qui allait arriver ensuite) s’inscrit désormais dans un son post-dubstep, plus proche de ce que peuvent proposer Floating Points, Mount Kimbie ou Jon Hopkins que ce que peuvent proposer, comme hier, Flume ou Odesza. Visuellement, le changement aussi, est flagrant. Il fallait marquer le coup.

Je voulais que la pochette tranche, également, avec le passé.

Fakear

« Une rupture se ressent au niveau musical », admet Fakear. « Je voulais que la pochette tranche, également, avec le passé. Peut-être est-ce influencé par mon retour à Paris, après avoir vécu trois ans dans la campagne, peut-être aussi à une forme de lassitude d’avoir exploité ce côté organique pendant longtemps. J’avais besoin de renouveau. »

Passionné de science-fiction et clairement imprégné par une culture geek qu’il partage avec le producteur Alex Metric (collaborateur du disque et en featuring sur le morceau « Carrie »), Fakear assume son attirance vers une culture et une esthétique qu’il n’avait jusqu’alors « jamais su comment l’intégrer à [son] projet. »

Entre Blade Runner et Moebius

« À la base, je voulais quelque chose très détaillé, voir une photo. Je cherchais du coté de Blade Runner, de René Lalloux, de Moebius. Je voulais un truc graphique, coloré, sci-fi. Je partais dans tous les sens. »

Comme souvent, c’est à ce moment — celui où les idées fusent au point de s’envoler trop loin… — qu’intervient un nouvel acteur en charge de cadrer le projet. Cette fois, ce sera Chloé et Nolwenn du studio Fake Paper. (collaboration notable, par exemple, pour Clara Luciani ou, il y a quelques années, le magazine Social, lié au feu Social Club de la rue de Montmartre).

« Quand Fake Paper est arrivé dans le débat, elles ont rapidement canalisé ce flot d’idées dans quatre ou cinq propositions qui reprenaient les grands traits de ce que j’avais cité. La collaboration s’est faite très simplement, elles ont tout de suite vu et capté ce vers quoi je voulais aller, et elles ont été d’une efficacité redoutable. La proposition qui a donné l’artwork final sortait un peu du lot, était un peu plus osée en terme de composition. Elle tranchait non seulement avec le passé mais aussi avec les compositions habituelles, que l’on rencontre fréquemment dans la musique électronique. 

Elle a un côté vintage, quelque chose d’un peu rétro-futuriste

Fakear

La bande à gauche de l’artwork avec le logo et le morse donne vraiment du caractère à l’ensemble. C’est un élément que l’on retient et qui est devenu récurrent dans les artworks des singles. L’écriture verticale permet de distinguer l’acronyme du titre « EWGA » auquel je tenais. Elle a un côté vintage, quelque chose d’un peu rétro-futuriste, et je tenais beaucoup à cet aspect des choses. »

Reste à y trouver un sens, à cette pochette codée qui rappellera, aux spécialistes, les inscriptions gravées sur les environnements spatiaux de la saga Alien, les films de John Carpenter, ceux de Dennis Villeneuve. Théo :

« Il y a plusieurs éléments. Ce qui est rigolo avec ce genre de composition, c’est qu’elle peut paraître complexe et mystérieuse de prime abord. On a tendance à trouver étrange les éléments et leur disposition, alors qu’il n’y a finalement rien de compliqué. Elle est assez claire en fait ! La forme d’entonnoir est la représentation d’un trou noir, correspondant à la destruction, le néant, la disparition du visible… et le cadre en bas à droite contre balance en laissant apercevoir la lumière, l’espoir, le renouveau. Tout repoussera de nouveau ! Finalement l’esthétique est aussi importante que la symbolique. » 

Le son

Ce n’est plus un cap mais bien une péninsule qui sépare les précédents albums de Fakear et notamment All Glows, au son délibérément pop et adapté aux très grandes salles dans lesquelles il a eu l’occasion de tourner, d’Everything Will Grow Again, disque plus sombre et plus introspectif qui, s’il demeure habiter par une centaine forme de lumière, n’est plus tout à fait la même que jadis. Fakear a bossé avec Alex Metric, a découvert la passion du producteur pour les machines qui s’énumèrent dans des petits espaces, câbles à l’air et déco négligée. 

« Il y avait des câbles dans tout les sens, il fallait enjamber des machines et taper dessus pour que ça marche. C’est là que je me suis rendu compte de l’importance des machines analogiques ». Pour lui habitué à composer composées des plug-in préenregistrés, remis en ordre ensuite avec une MPC, c’est une révélation. « J‘ai composé la musique chez moi, à l’arrache, à grands renforts de vieux synthés analogiques qui donne ce côté « cyberpunk vintage » qu’on retrouve dans les films de science-fiction des années 80. » Il en découle ainsi un disque qui réfère autant à Mount Kimbie qu’à Jon Hopkins et un univers, pour ce garçon à part attaché, dans un monde qui ne l’est pas tellement, à l’idée du grand zen, se remodèle de manière décisive.

Fakear (Facebook / Twitter / Instagram / SoundCloud / Bandcamp)

Fake Paper (Site officiel)

Fakear, Everything Will Grow Again, 2020, Caroline International, artwork par Fake Paper