Danny Brown x Timothy Saccenti – Atrocity Exhibition


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Danny Brown, sur la pochette d’Atrocity Exhibition (et plus encore, sur le verso de l’album, dévoilé avant le recto), est en mode Double-Face. Comme Harvey Dent, l’ancien procureur de Gotham devenu, au fil des ans et des épisodes de Batman, criminel schyzo hésitant toujours entre le Bien et le Mal (ça se décide en général, et le personnage est fameux pour ça, à pile ou face), et dont la face défigurée de moitié dit toute l’ambiguïté et la bipolarité avérée. Le genre de folie, parce qu’inscrite sur le visage, devenue légèrement compliquée à cacher au monde extérieur…

Danny Brown x Timothy Saccenti - Atrocity Exhibition

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Double Danny

Idée géniale, et filiation évidente avec le personnage de Batman, censée dire les humeurs et les couches de personnalités alternatives d’un rappeur qui se montre, et plus encore qu’hier, particulièrement torturé sur ce quatrième épisode discographique où effectivement, comme l’affirme le titre, il exhibe une existence qui n’a pas toujours été, c’est le moins qu’on puisse dire, rempli d’optimisme fleurissant (le passage en prison après avoir vendu de la came passé ses 18 ans, notamment, est un épisode forcément marquant). On pense un peu aussi, dans le rendu de cette pochette, au « Thriller » de Michael Jackson et à ces zombies danseurs revenus de l’au-delà qui ont bâti toute la postérité du morceau. Dans tous les cas, culturellement parlant, les références sont pop.

Beauté glauque ?

Et il a bien fait, ce rappeur qui s’exhibe de manière systématique sur ses pochettes et de manière de plus en plus malade (du gamin tout sourire de Hot Soup et du portrait dixneuviémiste d’Old à celui d’Atrocity Exhibition, il y a un monde…), de confier la réalisation des visuels de ce nouveau disque au New-Yorkais Timothy Saccenti. Car ce type-là, graphiste, photographe et vidéaste vu à la tête de quelques-uns des très beaux clips-vidéos de ces dernières années (« Atlas » de Battles, « Angel » de Depeche Mode, « Longevity » de Yeasayer, « Love Illumination » de Franz Ferdinand…), possède un savoir-faire évident dans la démarche, infiniment complexe, qui consiste à associer une certaine forme de beauté à ce qui peut initialement évoquer le morbide. Il y était déjà parvenu, il y a quelques semaines, en dévoilant la pochette du nouvel album de Gonjasufi, qui n’est pas non plus le plus joyeux des lurons, via ce visuel qui offrait un bien sombre panorama de ce qui devait ressembler à une interprétation, bien sombre, de l’épisode post Passion, lorsque Jésus de Nazareth et les deux voleurs qui étaient accrochés, eux aussi, à leur croix à ses côtés avaient été, parce que décédés (enfin pour Jésus, c’est plus compliqué), déplacés ailleurs. On le disait : de l’art de savoir apporter de la beauté dans le glauque.

Gonjasufi x Timothy Saccenti - Callus

Gonjasufi x Timothy Saccenti – Callus

Le son

Sur son quatrième album, Danny Brown s’exhibe. Et le fait parfois, et ces morceaux-là (« Rolling Stone » avec Petite Noir, « Really Doe » avec Kendrick Lamar, Earl Sweatshirt et Ab-Soul) sont globalement les plus grands du disque, en compagnie de camarades venus poser leurs voix aux côtés du flow acéré et malade de l’Américain qui signe une œuvre non pas atroce, mais plutôt féroce, marquée par une bipolarité sonore (de « Lost » à « When It Rain », le gouffre est grand) au moins aussi audible qu’elle est visible sur le fronton de ce disque traumatique et, parce que les deux termes sont souvent complémentaires, carrément salvateurs. Question hip-hop, pas de problème : l’un des gros albums de l’année.

Danny Brown (Site officiel / Facebook / Twitter)

Timothy Saccenti (Site officiel / TumblR / Twitter / Vimeo)

Danny Brown, Atrocity Exhibition, 2016, Warp Records, 46 min., pochette par Timothy Saccenti