Battles x Dave Konopka – La Di Da Di


Battles x Dave Konopka - La Di Da Di

De la même manière qu’ils accumulent, sur leurs pistes allongées, progressives, monolithiques et logiques, les boucles électriques et électroniques, les Battles accumulent sur leurs visuels des repas gargantuesques, qui, une fois terminés, doivent couper à quiconque l’envie irrémédiable de ne rien manger d’autre avant longtemps. Éléments complémentaires (qu’ils soient sonores et organiques) mais qui, ingurgités les uns en même temps que les autres, ne sont à mettre qu’entre les tympans et les estomacs les plus avertis.

Bouffe et boulimie

Cette obsession boulimique pour la bouffe, Battles l’a validée et en a fait l’une de ces figures visuelles récurrentes depuis la sortie de son 2nd album Gloss Drop, qui favorisait, alternativement, la représentation d’un dessert écœurement gélatineux (pour le LP), puis la figuration de glaces dégoulinantes déclinées dans de divers parfums (pour le single Ice Cream). Brillamment identifiable, et logique dans son processus de déclinaison thématique (les premiers EP du trio se focalisaient pour leur part sur la répétition de paysages sauvages dérangés par la présence discrète de la modernité), l’iconographie alimentaire était reprise, dans le même temps, dans la communication effectuée autour des dates du groupe (ananas, planches de charcut’, bières, carottes, et grappes de raisin au programme).

À ces desserts gourmands, devenus orgies et empilages de saveurs dégoutantes lorsqu’il fallut illustrer l’album de remixes Drop Gloss (le disque existe en cinq versions différentes) succèdent, autour de l’album La Di Da Di, la représentation d’un brunch idéal et particulièrement fourni. Pancakes au sirop d’érable, banane ouverte, pastèque, crème, œufs sur le plat et bacons figurent en effet sur la pochette de ce 3e LP, réalisée par le bassiste Dave Konopka. Les singles issus de l’album proposent une démarche semblable, mais insistent pour leur part, plutôt que sur l’heure du petit déjeuner, sur l’heure du déjeuner (poulet, sandwich rosette et pizza aux peppéronis pour FF Bada et pâtes à la tomate et hot dog à la moutarde pour The Yabba). Des repas plus ou moins caloriques que Dave Konopka a pris le parti, plutôt que de se contenter d’une simple création numérique, de sculpter directement.

Brunch et bacchanale

Moins réussie, mais plus appétissante que la série visuelle liée à Gloss Drop, la série La Di Da Di rejoint aussi sa prédécesseuse en donnant à ces créations nutritives un caractère équivoquement sexuel. On se souvient notamment du clip, équivoque d’« Ice Cream » (coulée de glace / coulée de flux charnel, on a compris), et on se rapproche en cela de quelques-unes des obsessions visuelles (elles sont nombreuses) du quintet de pop psyché-paillettes Moodoïd, chez qui le leader Pablo Padovani revendique notamment le caractère hautement érotique des fruits et des légumes (au-delà des clips fruités « De Folie Pure » et des « Chemins de Traverse », un choux est mis au centre du propos sur la pochette de l’EP La Lune, créée par l’agence ZEUGL). Une pochette sexuée, bien sûr, parce qu’outre l’aspect viscéralement langoureux des aliments mis en avant, on voit ici, et la démarche est directe, la banane en train de pénétrer littéralement la pastèque. On a, certes, vu plus fin comme métaphore, et ce même si l’acte de fornication suggéré expose ici une vérité absolue : la musique de Battles, tout en haut d’une scène post-rock / math-rock électronique dont les New-Yorkais font partie des incontestables leaders (on a aussi noté, dans le même timbre, l’excellent album des cousins luxembourgeois Mutiny On The Bounty) est de celles qui font tout simplement jouir. Et à tous les coups.

Le son

Battles avait déjà, avec ses deux premiers albums (Mirrored et Gloss Drop) gagné deux difficiles batailles (comme arme de persuasion, on connaît plus facile d’usage que le math rock expérimental). Tout près de remporter la guerre pour de bon (mais ont-ils vraiment d’adversaires dans la catégorie dans laquelle ils combattent ?), les New Yorkais offrent avec La Di Da Di un disque légèrement plus complexe que ce que laisse suggérer son titre, et prouvent une nouvelle fois à quel point ils excellent dans l’art de l’accumulation des couches et de la répétition en aucun cas répétitive (cherchez non pas l’erreur, mais le miracle). 3 cerveaux (ceux de John Stanier, d’Ian Williams et de Dave Konopka), 3 obsessions (le rythme, la mélodie, le cumul) à faire cohabiter, et un 3e album, aucune surprise, en guise d’apothéose.

Battles (Site officiel / Facebook / Twitter)

Battles, La Di Da Di, 2015, Warp Records, 46 min., pochette par Dave Konopka