« Once sent from the Golden Hall » : les vikings et les dieux du Nord dans les artworks métal


Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion d’écrire un texte pour Néoprisme en présentant les œuvres de Kristian Wåhlin et la discographie de Bathory. Ce groupe suédois, avec ses pochettes inspirées par le Satanisme et l’imaginaire du Nord, est un groupe fondateur pour de nombreux métalleux. Parmi les dernières conférences que j’ai pu donner, deux s’appuyaient sur des présentations de pochettes de disques. La première avait lieu au festival des Imaginales à Épinal – un festival de littérature fantasy – et la seconde au Rock Your Brain Fest de Sélestat – un festival punk et métal organisé depuis sept ans en Alsace.  Agrémentés de quelques recherches, ces quelques mots complètent mes propos tenus lors de ces deux événements.

Avant de commencer la lecture de cet article, je tiens à préciser que certaines des pochettes présentées sont celles de groupes promouvant un discours raciste et xénophobe, résultant d’une récupération idéologique dont est, malheureusement, parfois victime l’imaginaire du Nord. En aucun cas, Néoprisme et moi-même ne soutenons et cautionnons de telles idées. Il s’agit simplement de présenter des images et des pochettes qui existent, parfois depuis longtemps.

Au commencement était le texte…

Black Sabbath, Tyr, 1990
Black Sabbath, Tyr (1990)

En 1990, le groupe Black Sabbath publia son album Týr dont le nom fait référence à un dieu de la mythologie scandinave, connu pour s’être fait arracher la main par le loup Fenrir. Mais ce sont chez d’autres pères fondateurs du Métal que l’on retrouve la première évocation du viking… Vingt ans plus tôt, Led Zeppelin, emmené par Jimmy Page et Robert Plant, composèrent « Immigrant Song » (Led Zeppelin III, 1970), un hymne devenu légendaire grâce à son cri introductif.

Dans les années 1970, les références au viking se cantonnent aux textes de chansons. Il s’agit d’un individu, grand navigateur, faisant la guerre et prêt à mourir au combat pour rejoindre Odin dans sa grande halle. Popularisée par la littérature et le cinéma, cette figure traverse les océans et inspire les métalleux outre-Atlantique. Formé dans le Connecticut en 1978, le groupe Legend s’en empare pour évoquer des histoires de raids et de pillages dans son titre « From the Fjords ».

Legend, Fröm the Fjörds (1979)

Au même moment, le hard rock émerge en Scandinavie. Bénéficiant du revival actuel des groupes des années 1980, Heavy Load est un des groupes de « hard » suédois le plus connu de cette époque. Actif depuis 1976, ce quatuor de Stockholm fait référence à Thor et aux vikings dans l’ultime titre de leur album Full Speed at High Level (1978), « Son of the Northern Light », évoquant des massacres de chrétiens.

Avant que le métal viking ne naisse…

Ce n’est seulement que dans les années 1980 que le viking apparaît dans les artworks. Coiffé du fameux casque à cornes, on le retrouve, par exemple, chez le groupe allemand Faithful Breath. Tout comme le casque ailé, cet attribut aujourd’hui régulièrement associé à l’ancien Scandinave est une invention du XIXe siècle, popularisée par quelques artistes et hommes de lettre de cette époque. Pourtant, aucune trouvaille archéologique de la période viking n’atteste de tels objets… Il s’agit donc d’une pure fantaisie qui, depuis plus d’un siècle, trouve un écho à travers la culture populaire, des comics américains aux stades de foot en passant par la musique métal.

À cette époque, le viking porte également des peaux de bêtes dans les représentations visuelles et ressemble à un barbare du Nord. Les images véhiculées renvoient alors à l’univers de la fantasy.

Tout comme Led Zeppelin avait assimilé des représentations du viking que l’on retrouve dans le film de Richard Fleischer Les Vikings (1958), les artistes métal des années 1980 s’imprègnent également du cinéma de leur temps. Pagnes, épées et musculature imposante rappellent le personnage de Conan le Barbare, interprété par Arnold Schwarzenegger et adapté par John Milius en 1982. La masculinité revendiquée dans une partie de la culture hard rock des années 1980 transparait à travers une version hypervirilisée de ce héros du Nord. Cependant, sous l’impulsion du groupe suédois Bathory, la fin de la décennie sera marquée par un tournant esthétique et identitaire.

De Satan à Odin : le tournant Bathory

Dans les années 1980, la musique métal se diversifie et se radicalise. Musicalement, une course à la vitesse se lance, donnant naissance à de nouveaux sous-genres (death metal et black metal par exemple). Le Diable et l’imaginaire satanique deviennent des références largement utilisées par les formations pour exprimer une attitude transgressive et un rejet du Christianisme. Les croix inversées, la figure du bouc et autres pentacles investissent les pochettes des disques et des vinyles. En Angleterre et en Suède, Venom et Bathory sont respectivement considérés comme les précurseurs du courant black metal.

Les premières productions discographiques de ces formations se caractérisent par un rythme effréné, une production de faible qualité et la recherche d’une atmosphère démoniaque. Durant toute la décennie, cette attitude inspire des formations aux quatre coins du monde. Alors que Satan est devenu la référence « à la mode », ou au moins très largement invoquée à la fin des années 1980, le groupe suédois Bathory prit un virage artistique majeur pour l’histoire du métal extrême.

En l’espace de trois albums, édités entre 1988 et 1991, Quorthon (1966-2004) et son groupe inventèrent ce qui est aujourd’hui appelé le « viking metal ». Plus de place fut laissée aux mélodies. Des samples du souffle du vent, de fracas des vagues sur le rivage ou encore de bruits d’animaux furent incrustés pour permettre la construction d’un voyage immersif vers un Nord médiéval imaginé. Dans les textes, les références aux vikings et mythes scandinaves jalonnent les compositions et renvoient à un passé idéalisé.

Ce changement d’imaginaire est le reflet d’une démarche identitaire complexe que l’on retrouve chez de nombreux artistes puisant leur inspiration dans l’imaginaire viking. D’une part, il s’agit de valoriser un héritage culturel et de promouvoir un passé idéalisé. D’autre part, cela vient soutenir un discours critique envers la modernité. Enfin, les vikings et les dieux du Nord apparaissent, en comparaison avec la figure de Satan, comme des alternatives plus subtiles pour critiquer le Christianisme, perçu comme destructeur des anciennes traditions païennes.

Le tournant artistique du groupe s’effectua également à travers les artworks. Si celui de Twilight of the Gods, dont le nom est une référence à l’opéra de Richard Wagner, évoque la majestuosité de la nature nordique, ceux de Blood Fire Death et de Hammerheart sont des tableaux du XIXe siècle. Le premier est l’œuvre de Peter Nicolaï Arbo Åsgårdreien (1872) tandis que, pour le second, il s’agit de la toile The Funeral of a Viking (1893) de l’artiste Frank Dicksee (1853-1928). On peut alors y découvrir une représentation d’un rite funéraire viking durant lequel un navire est enflammé par des archers depuis le rivage. Ce genre de funérailles est fréquemment représenté au cinéma, du filmde Richard Fleischer précédemment évoqué au 13e guerrier (1999)avec Antonio Banderas en passant par le film d’animation Dragons 2 (2014). Dans la suite de l’article, j’évoquerais comment les illustrations et peintures du XIXe siècle ont été largement réutilisées mais, avec les albums de Månegarm et d’Asenblut, on comprend qu’elles peuvent être réinterprétées de manière plus contemporaine.

« Tors Strid med Jättarna » ou le combat de Thor avec les géants 

Le XIXe siècle est la période des nationalismes romantiques. Nombreux furent les artistes à peindre la nature nordique, les vikings ou les dieux de la mythologie scandinave. Pour ces individus, évoluant dans un contexte européen mouvementé et rythmé par différentes guerres, l’idée était de participer à la redécouverte d’un passé prestigieux et de le représenter à travers l’art. Parmi eux, il est possible de citer le Suédois Mårten Eskil Winge (1825-1896) et son somptueux tableau Tors Strid med Jättarna (1872), aujourd’hui exposé au Nationalmuseum de Stockholm.

De la cassette au vinyle en passant par le disque, de la compilation au split album en passant par l’album live, du doom américain au death metal tchèque en passant par le black metal brésilien, la récupération de cette toile franchit les frontières géographiques, les barrières musicales et se déploie sur différents supports d’écoute.

Outre la puissance qu’elle dégage, sa popularité et son faible coût économique de reproduction — la toile est depuis longtemps tombée dans le domaine public, et peut donc être utilisée facilement —, sa réutilisation dévoile les intentions des individus qui se la réapproprient. En effet, dans la compilation Scandinavian Metal Attack sortie en 1984, aucun des groupes réunis n’évoque les vikings ou la mythologie. Pour la maison de disque, l’enjeu est plutôt d’inscrire ces artistes dans un patrimoine culturel scandinave. Dans une toute autre démarche, l’EP de Reverend Bizarre ne fait figurer que le bouc, accentuant ainsi l’aspect blasphématoire de la formation finlandaise. Enfin, Bound For Glory instrumentalise cet imaginaire pour promouvoir un discours idéologique extrême, rappelant la récupération de l’imaginaire du Nord par les nazis. 

Reverend Bizarre, Hardbringer of Metal (2003)

Avant d’explorer de manière plus exhaustive la représentation des dieux dans les pochettes de disques, il est possible de faire un détour en évoquant le cas des vikings dans les œuvres de ceux qui ont suivis les pas de Bathory. Alors que dans les textes, les portraits sont plus nuancés, les pochettes de disques diffusent essentiellement l’image d’un guerrier redoutable et sanguinaire.

A Furore Normannorum libera nos, Domine

« De la fureur des Normands libère nous, Seigneur » pourrait-on traduire cette expression en latin. Bien qu’il y en ait eu avant, on date traditionnellement le début des raids vikings au mois de juin 793 avec le sac du monastère de Lindisfarne situé au nord de l’actuelle Angleterre. Le récit de ce raid nous est notamment parvenu à travers la Chronique anglo-saxonne, un texte du IXe siècle. Les Scandinaves y sont alors décris comme des païens sanguinaires détruisant l’Église de Dieu.

Dans le discours des clercs, victimes de ces pillages, cette vision s’avère être négative. À l’inverse, lorsqu’elle est récupérée par les métalleux, elle prend une valeur positive et devient le symbole de la lutte contre le Christianisme. Dans la culture populaire, le viking apparaît comme un individu hyper viril, violent, et, parfois porté sur l’hydromel tandis que de nombreux éléments lui sont associés. Plus haut, j’ai évoqué le fameux casque à cornes. On pourrait également ajouter le « drakkar », dont le terme lui-même renvoie à une construction étymologique du XIXe siècle en raison de la proue des navires qui ressemblait à des dragons (en vieux norrois « dreki » signifie « dragon »).

Ce motif récurrent du drakkar sert à rappeler un élément important du mythe du viking, à savoir sa faculté à être un formidable aventurier des mers. La recherche historique a effectivement montré l’importance de la navigation dans cette société. L’album The Varangian Way des Finlandais de Turisas fait d’ailleurs référence aux Varègues, des vikings partis vers l’Est, connus pour avoir fondé Novgorod, situé dans l’actuelle Russie, au IXe siècle. Quant au disque Erik the Red du groupe Týr, il rend hommage à ce navigateur norvégien qui, après avoir été banni d’Islande au Xe siècle, fonda une colonie au Groenland. Selon certaines sources, son fils, Leif Erikson, découvrit le Vinland (l’actuelle Terre-Neuve).

La mobilisation des thématiques viking dans la musique métal a donné naissance à un sous-genre communément appelé « viking metal ». S’il se distingue par l’imaginaire développé à travers les textes et l’iconographie, il ne se définit pas par ses composantes musicales. Certaines formations préfèrent l’agressivité et la violence du death metal ou du black metal tandis que d’autres incorporent à leur musique des instruments perçus comme traditionnels ou folkloriques (flûte, cornemuse, kantele, etc.). Le résultat produit se veut alors une musique plus festive et l’image du viking diffusée s’apparente à celle d’un individu fêtard, adepte d’hydromel. Enfin, une troisième catégorie d’artiste englobe des musiciens à la recherche d’une certaine forme d’authenticité. Ces derniers n’hésitent pas à faire confectionner des costumes « d’époque » pour leurs représentations scéniques, à employer l’islandais médiéval pour les paroles ou encore à se revendiquer comme néopaïens. Pourtant, lorsque le viking est représenté dans les pochettes de disques, il s’agit bien du guerrier sanguinaire.

Ce païen brutal s’apparente à un surhomme et vient renforcer, visuellement, le discours antichrétien. Épée ou hache à la main, il s’oppose au clerc agonisant. Parfois, l’atmosphère apocalyptique appuie l’aspect surhumain du personnage. La nature du Nord est dangereuse, sauf pour le viking… Signifié directement à travers la figuration d’Odin ou, plus subtilement, grâce à l’apparition de ses deux corbeaux, ces attaques s’opèrent sous la protection des dieux. Avec un paysage côtier verdoyant, la pochette de Seawolves rappelle le lieu du pillage de Lindisfarne de 793 tandis que le viking de Skoshallen est imaginé à travers la figure du Berserk, reconnaissable à sa peau de bête. Ce guerrier fauve qui a beaucoup marqué notre imaginaire se retrouve également chez les Suédois d’Amon Amarth et les Italiens de Norsemen.

Plus haut, j’ai dit que le viking dans le métal avait été influencé par celui que l’on retrouve dans le cinéma. Parfois, les artistes poussent le concept jusqu’à interpréter eux-mêmes le guerrier lors de concerts ou de tournages de clips musicaux. De temps en temps, on les voit également apparaître dans les pochettes de disques, en armures et épée à la main. Si, parfois, certains musiciens sont investis ou entretiennent des liens étroits avec des troupes de reconstitutions médiévales, il s’agit surtout de pousser le spectaculaire à son paroxysme comme sur l’album Blodhemn d’Enslaved ou King of Kings de Leaves Eyes. 

Dans la musique métal, le mythe du Ragnarök est régulièrement invoqué comme source d’inspiration. Dans la mythologie scandinave, il s’agit d’une sorte de fin du monde. Se déroulant en plusieurs phases, il débute par un long hiver de trois années – le Fimbulvetr — précédé par une guerre civile entre les hommes. Alors que le Soleil ne brille plus et se fait dévorer par un loup, un autre s’empare de la Lune et les étoiles disparaissent du ciel. Enchaîné car considéré comme trop dangereux par les dieux, Fenrir, un autre loup géant et fils de Loki, parvient à se libérer de ses liens et Jormungand, le serpent qui encercle Midgard, cause un immense raz de marée tout en répandant son venin sur les mers et la terre. Habitant Muspellheim, le géant de feu Surt quitte son royaume et provoque un incendie destructeur. Alerté de ces tragiques événements, Heimdall prévient les autres dieux en soufflant dans son cor, le Gjallahorn. S’ensuit alors un immense affrontement durant lequel les dieux s’entretuent. Seul quelques-uns survivront avant la réapparition des humains…

Alors que le début du Ragnarök apparaît subtilement dans la pochette du groupe allemand Odroerir – il faut renverser l’image pour reconnaître Heimdall soufflant dans son cor, le serpent géant et le loup Fenrir – il est facile de représenter le Fimbulvetr grâce aux paysages enneigés et à la nature désolée du Grand Nord. D’autres pochettes préfèrent afficher le chaos en réunissant, au sein d’une même image, l’ensemble des protagonistes. La guerre, la mort ou encore les catastrophes écologiques sont des thématiques centrales du Ragnarök. On comprend alors pourquoi les artistes métal usent de ces récits épiques comme métaphore pour évoquer leurs inquiétudes face à ce monde contemporain.

Ces mythes relatant les différents combats deviennent parfois le sujet de chansons mais prennent une nouvelle dimension lorsqu’ils sont illustrés indépendamment des uns des autres. Pour un exemple parmi d’autres, le titre « Destroyer of the Universe » d’Amon Amarth raconte l’arrivée du géant Surt et trouve un écho visuel dans l’artwork de Tom Thiel pour l’album Surtur Rising (2011) ainsi que pour d’autres productions.

Ce mythe nous est raconté dans l’Edda de Snorri, un texte composé au XIIIe siècle par l’Islandais Snorri Sturluson et représentant l’une de nos plus importantes sources au sujet de la mythologie scandinave. Voilà comment est raconté l’arrivée de Surt :

« Dans ce tumulte, le ciel se déchirera et les fils de Muspell en surgiront, montés sur leurs chevaux. En tête viendra Surt, précédé et suivi d’un feu dévorant, et l’excellente épée qu’il possède brillera plus intensément que le soleil. […] Les fils de Muspell formeront à eux seuls un corps de bataille, extrêmement brillant, sur la plaine Vigrid, laquelle s’étend sur cent lieues dans toutes les directions. » (trad. F.X. Dillman, 1991)

L’Edda de Snorri nous raconte également la généalogie des dieux. Au sujet de la descendance du dieu de la discorde Loki, popularisé à travers l’univers Marvel, il est dit qu’il eut trois enfants avec une géante nommée Angrboda. Le premier était le loup Fenrir, le second le serpent de Midgard appelé Jormungand et, enfin, le troisième nommé Hel. On retrouve un portrait de cette fratrie avec, par exemple, la pochette du groupe suédois Månegarm.

Månegarm, Legions of the North, 2013

Sur cette « photo de famille » réalisée par Kris Verwimp, Hel, au centre, se reconnait à travers sa moitié de visage qui s’apparente à celle d’un défunt. Alors que la déesse des morts est présente dans de nombreux jeux vidéo (Viking : Battle of Asgard et Hellblade : Senua’s sacrifice par exemple) ainsi que dans le film Thor : Ragnarok, elle est assez peu représentée visuellement dans les pochettes de disques métal. Quelques exemples peuvent quand même être dénichés ici et là…

Sur le visuel de la version CD du disque de Fornlorn Winds, les svastikas ornant le fauteuil et le bâton de la déesse nordique laissent peu de doute concernant l’orientation idéologique de la formation américano-polonaise. Pour la version cassette de la même démo, il s’agit d’une œuvre de Carl Emil Doepler (1824-1905), connu pour avoir dessiné des costumes pour les représentations de l’opéra wagnérien. Elle fut publiée pour la première fois en 1882 dans l’ouvrage Nordisch-Germanische Götter und Helden consacré aux dieux et héros germaniques et nordiques. Elle représente Heimdall auprès de Hel, demandant la libération de Idunn dont les pommes lui procurent l’éternelle jeunesse. Quant à la version de Hel chez les Néerlandais de Fallen Temple, elle est signée Johannes Gehrts, date également de la fin du XIXe siècle et trouve sa source dans un autre ouvrage allemand consacré à ces héros et dieux, Walhall : Germanische Götter-und Heldensagen, publié par Felix et Therese Dahn en 1885.

Sans aucun doute, le loup Fenrir est bien plus présent. Au même titre que les corbeaux d’Odin ou son cheval à huit jambes Sleipnir, il fait partie de ce bestiaire mythologique que l’on retrouve dans la musique métal. Les artistes mettent alors en avant son aspect gigantesque et sa férocité. D’ailleurs, lorsqu’il fut enchaîné par les dieux, Týr perdit sa main. Lors du Ragnarök, Fenrir parviendra à se libérer, affrontera Odin et l’avalera avant de finalement être tué par Vidar.

Enfin, le dernier enfant de Loki régulièrement invoqué par les artistes est le serpent de Midgard, Jormungand. Dans une prophétie, il avait été dit qu’il causerait de grands dégâts. Odin décida alors de le jeter dans la mer. Cependant, il grandit tellement qu’il finit par encercler Midgard, le monde des humains. C’est d’ailleurs de cette manière qu’il est, parfois, représenté dans les pochettes de disques.

The Mighty Thor

Ce géant joua un rôle majeur lors du Ragnarök. Dans son récit, Snorri Sturluson nous raconte le terrible affrontement qui opposera celui-ci à Thor et écrit que :

« L’océan déferlera sur les terres, parce que le serpent de Midgard, saisi par sa ‘fureur de géant’, gagnera, le rivage. […] Le serpent de Midgard soufflera tellement de venin qu’il en aspergera l’air tout entier ainsi que la mer. Il sera absolument effrayant et s’avancera aux côtés du loup. […] Thor tuera le serpent de Midgard et fera encore neuf pas avant de tomber mort à terre, en raison du venin que le serpent crachera sur lui. » (trad. F.X. Dillmann, 1991).

Ce combat, à l’issue tragique pour l’un des dieux nordiques les plus connus, sert de thème à l’illustration d’une démo du groupe Vanir mais, surtout, pour le septième album studio des Suédois d’Amon Amarth, Twilight of the Thunder God (2008).

Ces deux pochettes ne sont pas sans rappeler la couverture du numéro 273 du comics américain The Mighty Thor, paru en 1978. Créé par Stan Lee en 1962 pour incarner un nouveau héros de l’univers Marvel Comics, cette version du dieu nordique, reconnaissable à son marteau Mjollnir et sa cape rouge, a marqué la culture populaire jusqu’à être adapté au cinéma ces dernières années. Néanmoins, alors que l’action semble ici similaire à celle de la bande dessinée, Thor perd sa cape et évolue, non plus dans un cadre urbain, mais dans un décor de fin du monde tel qu’il est décrit dans la mythologie scandinave.

Depuis des siècles, Thor est sans aucun doute le dieu qui a été le plus adapté, transformé et récupéré en fonction des époques et des intentions. Ci-dessous, quelques-unes de ses apparitions dans les artworks.

À l’instar de la peinture de Mårtin Eskil Winge, on retrouve plusieurs éléments récurrents. En plus de son marteau qui permet de l’identifier rapidement, il est reconnaissable à travers son char tiré par ses deux boucs, Tannsgrisnir et Tanngnjöstr. « Out of Asgård’s gates / A chariot of gold / Pulled along the way / By Tannsgrinnir and Tanngnjost / Crackling thunder roars / All across the world / As he rides to war / The champion of Midegård » rappellent les paroles ouvrant le titre « Crack the Sky » d’Amon Amarth (Berserker, 2019). Thor est guerrier et fend le ciel à bord de son char. Preuve de sa puissance visuelle, cette scène, en plus des illustrations du XIXe siècle déjà évoquées, se retrouve également dans la bande dessinée. Les curieux pourront alors jeter un œil à la couverture du premier tome de la bande dessinée humoristique danoise Valhalla, publié en 1979.

Parfois, Thor vient dans le monde des Hommes et incarne la fureur des dieux et la destruction de l’humanité comme sur la pochette du groupe Graveland. D’autres fois, comme pour celle du groupe féringien Týr, il terrasse le géant Thrym qui lui a volé son marteau. Dans de nombreuses interviews, la formation explique avoir utilisé ce mythe comme une métaphore pour évoquer la lutte pour la liberté liée aux différents événements qui ont marqué le Printemps Arabe. Ainsi, comme pour le Ragnarök, on retrouve cette volonté des artistes d’utiliser la mythologie scandinave pour parler du monde qui les entoure.

La beauté des mythes réside dans leur malléabilité. Dans des œuvres de fiction, ils peuvent être transformés ou recréés à partir d’éléments préexistant. Pour preuve, la très marvellienne pochette de l’album Deceiver of the Gods montre Thor affrontant Loki. Alors que l’idée de conflit entre ces deux êtres est récurrente chez Marvel, — Thor symbolisant le bien et Loki le mal — elle n’apparaît pas de manière si claire dans les textes médiévaux. Pour une dimension plus tragique, la culture populaire américaine ajoutera, d’ailleurs, un lien de fraternité imaginaire entre les deux protagonistes. Dans cette même démarche fantaisiste, le disque Thor against the World, est illustré par une version du dieu fracassant Jormungand avec sa guitare électrique. Poussant le concept à l’excès, le musicien canadien John Mikl Thor n’hésitait d’ailleurs pas à arriver à bord d’un char sur scène, provoquant parfois la risée de la critique musicale.

Avec Odin à nos côtés

Enfin, dans la mythologie scandinave, Odin est l’un des dieux les plus importants. Dieu de la guerre, de la connaissance, de la poésie ou encore de la magie, ses fonctions sont multiples. Bien qu’il n’ait pas la même importance que Thor, son fils, dans la culture populaire, ses représentations sont nombreuses dans les artworks métal.

Plusieurs attributs permettent de le reconnaître. Il possède une lance et chevauche, accompagné de ses corbeaux Hugin et Munin, son cheval à huit pattes nommé Sleipnir. Parfois, il est également représenté assis sur son trône avec, à ses côtés, ses deux loups Geri et Freki. Pour illustrer les pochettes de disques, les artistes puisent dans un répertoire d’images accumulées au cours du temps. Certaines ont été redécouvertes grâces à des fouilles archéologiques, d’autres sont l’œuvre d’artistes contemporains.

Une représentation d’Odin chevauchant Sleipnir est visible sur les artworks d’Amon Amarth de Donarhall. Pour la première, elle est incrustée devant un valknut, une figure symbolisant la mort et les racines de l’arbre monde Yggdrasil, tandis que, la seconde, laisse planer l’ombre du dieu nordique dans ce décor renvoyant au long hiver que j’ai pu évoquer. Daté entre les VIIIe et XIe siècles, ce motif trouve son origine sur une stèle trouvée en 1844 à Tjänvinde, sur l’Île de Gotland, au sud-est de la Suède. Elle est aujourd’hui exposée au musée historique de Stockholm.

À l’inverse, le portrait d’Odin que l’on retrouve dans les pochettes du groupe Ultimatum et des Brésiliens d’Asgard fut réalisé par le peintre Konstantin Vasilyev (1942-1976). Originaire du Caucase, il a réalisé plus de 400 peintures et dessins représentant la mythologie slave et germaniques, des épopées russes, des batailles ou encore des paysages. Après la chute du bloc soviétique, il trouva des échos dans des mouvements nationalistes ou néopaïens ainsi que dans la culture populaire. Sur cette toile, l’attribut le plus marquant d’Odin reste, sans aucun doute, son casque ailé, rappelant, une nouvelle fois l’influence qu’a eu l’œuvre wagnérienne dans la construction des représentations contemporaines des dieux scandinaves. Plus généralement, comme j’ai pu l’évoquer plus haut, c’est tout l’art et la littérature du XIXe siècle qui ont marqué l’imaginaire du Nord présent dans la culture métal.

Sur ces illustrations, le casque ailé est donc parfois présent. La pochette de Tank Genocide est l’œuvre de l’Allemand Johannes Gehrts (1855-1921) tandis que celle de Morningstar est reprise, une nouvelle fois, des dessins de Carl Emile Doepler. Sur plusieurs de ces pochettes, Odin apparaît tel un vagabond, emmitouflé derrière sa barbe, le visage assombri par l’ombre de son chapeau et possédant un bâton de voyageur. La version que l’on retrouve pour les disques d’Hildir et de Berhthron semble alors très inspirée par la toile, Oden Som Vandringsman (1886), du peintre suédois, né à Paris, Georg von Rosen (1843-1923). 

Enfin, avec l’EP du groupe finlandais Ymir’s Blood, nous retrouvons une adaptation de l’œuvre du Britannique William Gershom Collingwood (1854-1932) montrant Odin chevauchant vers Hel et illustrant le poème médiéval Baldrs Draumar (Les rêves de Baldr). Un bref effort d’imagination suffit à relier cette image au personnage de Gandalf dans les films de Peter Jackson, adapté du Seigneur des Anneaux de Tolkien. La passion du philologue et écrivain britannique pour les mythes germaniques et scandinaves n’est d’ailleurs pas un secret. De nombreuses inspirations issues de la littérature médiévale se retrouvent dans ses écrits et son magicien a souvent été comparé, par l’auteur lui-même, au dieu nordique.

Certains auront remarqué une dernière caractéristique physique concernant Odin. En effet, il lui manque un œil car, comme cela nous est raconté dans la Gylfaginning, la première partie de l’Edda de Snorri, il se sacrifia pour obtenir la sagesse et l’intelligence :

« Sous la racine dirigée vers les géants du givre se trouve Mimisbrunn (la ‘source de Mimir’), qui recèle la sagesse et l’intelligence. Celui qui possède cette source s’appelle Mimir il est très savant, car il y boit à l’aide de la corne appelée Giallarhorn. [Il se fit une fois qu’] Alfadr vint à la source et demanda à en boire une gorgée, mais il ne l’obtint pas avant d’avoir mis en gage l’un de ses yeux. » (Trad. F.X. Dillmann, 1991).

Ainsi, l’aspect borgne de ce dieu aux nombreux surnoms est souvent mis en avant à travers les artworks.

Dans cet article, j’ai évoqué les milles et un visages de certains personnages extraordinaires. La mythologie scandinave et le Moyen-Âge nord-européen recèle de nombreux autres mythes et dieux trouvant parfois échos dans les pochettes. Je n’ai pu évoquer les célèbres Valkyries qui ont inspiré Richard Wagner pour le second opéra de sa Tétralogie. Aux côtés du dieu borgne, ces vierges guerrières emmènent au Valhalla l’âme des défunts morts sur le champ de bataille et se retrouvent également dans les artworks. En guise de simple conclusion, je laisse alors le lecteur, qui m’a suivi jusque-là, partir à la redécouverte de ces illustrations en compagnie de cet Odin biker qui a transformé sa monture en un cheval de fer…

Hazy Hamlet, Full Throttle, 2013

He dared to raise up from Hlidskjalf

To live an ancient dream

Faster, faster rides Odin

The One Eyed God is running wild

Odin has transformed Sleipnir

In an Iron horse…

Simon Théodore est doctorant en Études Scandinaves à l’université de Strasbourg. Son travail de thèse porte sur la médiatisation du viking metal en France et sur les représentations du Moyen Âge scandinave à travers la presse métal. Il est également l’auteur d’un article consacré aux chroniques de disques viking metal pour la revue Radar, et intervient régulièrement sur le sujet au sein de colloques ou de conférences organisées sur le sujet.