Metz — Atlas Vending


Le teint global de l’image est pâle et n’évoque pas le très grand optimisme. Un humain (ou peut-être est-ce une humaine qui porterait les cheveux courts) s’accroche à une parcelle en bois qui n’évoque pas grand-chose d’autre que la misère la plus formelle. Le visage est tourné sans qu’on puisse en voir l’expression, on laissera à l’imagination le soin de la fabriquer.

Ce que l’on peut voir, par contre, c’est que les vêtements sont en lambeaux, que les cheveux sont salles et que les mains, sur lesquelles se sont accrochées un semblant de crasse foncée, sont devenues calleuses à force d’avoir été baladées là où les règles sanitaires ne sont pas aussi exigeantes qu’ailleurs. Cet humain-là est, manifestement, dans un sale état.

Hobo

On croirait voir la silhouette qui accompagne certains visages photographiés par Lee Jeffries, photographe attentif au sort réservé à ceux qui sont en marge et qui avait photographié, parmi d’autres, le franco-libanais Bachar Mar-Khalifé pour la pochette du magnifique Ya Balad. Lee Jeffries photographie les visages de vagabonds nomades, d’humains en très grande détresse sociale, d’exclus répugnés, de clochards célestes.

Sur cette pochette du dernier album de Metz, Atlas Vending, c’est de cela dont il s’agit, d’un marginal qui a fini par tellement l’être dans sa tête qu’il a fini par le devenir dans la tête et aux yeux, pas toujours très compatissants, des autres. Et c’est le père d’Alex Edkins, guitariste et chanteur du trio (lui-même avait signée, avec Sasha Barr, la pochette de II), qui en est l’auteur, de cette photo troublante et troublée.

Atlas Vending arrive trois ans après Strange Peace et un an après Automat, un disque de raretés, d’inédits et de Face B alors illustré par une photo d’Alex Edkins, allongé dos contre terre et guitare toujours en lanière durant un concert qui lui avait alors manifestement procuré des émotions particulièrement intenses.

Le visage d’Alex, bien sûr, on ne le voyait pas vraiment, de la même manière qu’on ne voyait pas ceux de ce duo dépité malgré la proximité immédiate de la mer en face d’eux (II) ou celui de ce gamin affalé devant ses cahiers et classeurs dans une salle de classe que lui devait plutôt aborder comme une salle de prison. 

Metz x Jeff Kleinsmith x John Edkins – Metz

Sans visages, sans figures

Chez Metz et sur ces pochettes qui n’invitent jamais trop de couleurs dans les parages, les visages sont cachés, et volontairement le plus souvent, comme s’il fallait camoufler aux yeux du monde les failles qui se forment dans les regards de ceux qui ont, déjà, validés quelques échecs.

Atlas Vending est, et nous citerons ici un communiqué de presse fidèle à ce que le groupe incarne depuis ses débuts il y a une dizaine d’années, « fabriqué autour des thèmes de la paranoïa induite par les médias, de l’addiction, la pression sociale ou l’isolation… et du besoin urgent de s’en défaire ». Pour vivre heureux, vivons cachés ? Jusqu’à ce qu’on trouve la manière de se libérer des oppressions protéiformes du monde façonné par les autres, c’est une alternative séduisante.

Le son

Spécialiste hier des morceaux de moins de trois minutes, joués par trois gaillards et avec la simple alliance de trois accords (le premier album éponyme de Metz était rempli de ces instantanés de punk criard et profondément viscéral), le groupe canadien a fait évoluer avec le temps (c’était déjà marquant sur Strange Peace, leur troisième album sorti en 2017) sa musique vers un punk plus patient, plus massif et plus vénéneux, encore. Les tracas du cerveau, lorsqu’ils ont pris le temps de murir, sont-ils plus vertigineux que lorsqu’ils ont à peine eu le temps d’en jaillir ?

Le premier extrait d’Atlas Vending (« A Boat to Drown In », avec un clip digne de Fight Club) est de cette verve, de ces canonnades qui laissent éclater pendant longtemps leur fureur avant de raser pour de bons les rangs décimés de l’artillerie ennemie. Alex Edkins, sur ce single qui en annonce d’autre : « Une échappée dans laquelle il faut tout laisser derrière. Il s’agit de surpasser des obstacles et liens qui vous ont toujours retenus, se relever, s’immerger dans ce qui nous fait avancer, aimer et changer. »

Metz (Site officiel / Facebook / Twitter Instagram / TumblR / Bandcamp)

Metz, Atlas Vending, 2020, Sub Pop Records / Modular