Zimmer x H5 — Zimmer


La foule. Celle qui enferme, qui oppresse, qui étouffe, qui donne envie de s’en extraire au plus vite, celle qui pointe, plus que toute autre idée, la redoutable individualité de l’être. Celle avec qui on partage, on grandit, on confronte, on célèbre et on mute, celle qui rappelle la grande force du collectif et son devoir inné de toute-puissance. L’image des grandes communions, politiques ou sportives, ou des grandes oppositions, des grèves, des manifestations, des révolutions, des commémorations. Des totalitarismes, aussi. Celles des armées du IIIe Reich saluant leur Führer sont restées dans l’imaginaire collectif (ce ne sont pas les seules), et ont été maintes fois reprises par quelques monuments pop, de la saga Star Wars (les armées de clones de l’Empereur) au Roi Lion version Walt Disney (les armées de hyènes de Scar). Via la foule, on dit « oui » ou on dit « non ». On y répète les mêmes refrains sans en comprendre parfois le sens, ou les mêmes slogans, que l’on tente, dans ces cas-là, de comprendre un peu mieux. Dans tous les cas, c’est homogène.

Emporté par la foule

La foule, ça parle à tout le monde. Et aux musiciens notamment, qui ont cela de particulier qu’il s’agit régulièrement, pour eux, de s’y confronter de manière extrêmement frontale. Ça fait partie du job, c’est inhérent : quiconque joue de la musique accepte par essence que tôt ou tard, ce sera lui sur un espace surélevé et la lumière des projecteurs braqués, avec devant lui, en contrebas et au lointain, cet assemblage uniforme et compact, qui vous observe, vous fixe et pose sur vous des avis contradictoires. La foule pour un musicien, c’est le plus grand des paradoxes. Celui qui dit d’un côté la belle réussite (composer de la musique dans son coin, et voir le monde se presser pour l’entendre), et la montée de la très grosse adrénaline. Et qui dit, de l’autre la très grosse angoisse, et la très grosse solitude du musicien, du producteur, ou même du groupe (cinq contre 10 000, en festival, le ratio reste faible). Créer seul, et ne plus l’être du tout. Je crée donc je suis : ai-je eu raison de le faire ?

Récemment, la foule, quelques-uns l’avaient représenté sur leur pochette de disque. Les bruxellois de L’Or du Commun, qui avaient proposé une vision de ce qui constitue l’homme, à travers la représentation de la masse, immobile et suiveuse, au sein de laquelle se trouvait leurs trois visages à eux, ou le groupe de producteurs français Club Cheval, qui avait illustré il y a trois ans son album Discipline avec cette image d’une foule compacte et bien éduquée, et où le moindre regard oblique constituait une déviance rare et dangereuse. Aujourd’hui, c’est au tour du producteur français Zimmer de s’y coller.

Avec Ludovic Houplain et le prestigieux studio de création parisien H5 (qui rassemble directeurs artistiques, graphistes, illustrateurs, réalisateurs, producteurs, concepteurs rédacteurs etc.), ils ont pensé une identité visuelle qui, là encore, dit le ressenti de l’individu face à ses contemporains regroupés au sein du même essaim. À Zimmer, créateur d’une house rêveuse, introspective, généreuse, fantasmagorique, la parole :

«  Tout a commencé lors d’une rencontre avec Ludo de H5 à l’été 2018. On a discuté du disque, de la vision que j’en avais. Il est revenu avec l’idée de la foule. Comme un symbole de ce que j’essaie de créer à travers la musique, un moment d’union, de lâcher prise. 

En parallèle, on a commencé une discussion avec la réalisatrice Claire Palisser, qui travaille essentiellement en 3D. Très rapidement l’idée est venue d’utiliser ce média pour créer la foule, et ce dans des situations surréalistes. De ces recherches est né le clip de « Mayans ». C’est une image de test pour « Mayans » qui a finalement donné vie à la pochette de l’album. 

J’avais envie d’une pochette qui reflète ce que je transmets dans ma musique. D’abord une forme de minimalisme, un concept très simple : un personnage dupliqué à l’infini. Mais cette disposition créé des perspectives mouvantes, des vibrations, une infinité de formes. Cette foule de personnages devient quasiment un paysage. Le paysage et les grands espaces occupent une part importante dans l’imaginaire de ma musique, dans ce qui m’inspire. J’aime cette sensation d’immensité de l’espace. 

C’est une pochette pleine d’oppositions

Zimmer

C’est une pochette pleine d’oppositions, comme cet album, à la fois foule et unique, comme ma musique qui est à la fois introspective, que je compose seul et qui s’écoute seul, mais qui est aussi faite pour la communion, réunir les êtres, la foule donc. 

Ça ressemble à ma vie de musicien électronique ces dernières années. Elle est à la fois froide et très humaine, sombre mais lumineuse, avec cette lumière forte sur les personnages mais qui semble être dans l’espace. Il nous a fallu d’ailleurs beaucoup de temps pour trouver le bon dosage de lumière. 

J’aime aussi l’idée d’harmonie dans la technique. Ma musique est essentiellement digitale, générée par ordinateur. Il a y un lien naturel avec la 3D. On utilise ces outils pour créer un monde qui ressemble au réel mais qui est différent. Assez surréaliste finalement. » 

Le son

La house du franco-californien Zimmer prend, sur son premier album éponyme sorti sur le très in Roche Musique (formulation 2.0 d’une certaine idée de la French Touch pensée aux côtés de Cézaire, Darius, Crayon, FKJ, Kartel…), les contours d’une longue balade éthérée (« Physique »), rêveuse (« Rey »), transcendée (« Mayans »). Et si quelques intermèdes techno, parfois, viennent assombrir l’horizon (« Techo Disco », « Dawn »), c’est pour mieux se souvenir que c’est dans l’infinie douceur et dans la plus pure contemplation que certains trouvent le meilleur moyen de constituer leur propre chemin.

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Zimmer, Zimmer, 2019, Roche Musique, 51 min., artwork par H5