SURE x Nicolas Di Vincenzo x Gregory Hoepffner — Twenty Years


Gregory Hoepffner est un garçon productif. Et fait partie de ceux, ce n’est pas si fréquent, qui parviennent à mener à bien un nombre impressionnant de projets dans des durées suffisamment rapprochées pour être précisées.

Au cours des dernières années, on l’a ainsi vu mener de front les projets Time to Burn (noise post-hardcore), Almeeva (electronica planante et émotive), Kid North (pop sucrée salée), Jean Jean (post-rock spectral), le tout associé à un métier de graphiste dont il avait déjà su faire profiter ses précédents projets. Aujourd’hui, c’est sous une étiquette shoegaze et dark wave et depuis la Suède (où le monde, ici, n’est pas encore confiné) qu’il nous fait part des avancées de SURE, illustré par une main qui flambe malgré la présence, tout autour, de l’élément qui devait pourtant devoir l’arrêter (dans la lutte qui oppose le feu et l’eau, c’est en général l’eau qui gagne). Une main, tiens, qu’on retrouvait déjà (pas la même) sur la pochette de Kid North, dont on avait discuté à une époque où Greg traînait non pas encore du côté de Stockholm, mais plutôt du côté de Barbès. « Greg, incroyable cette activité ! Tu veux nous parler de cette pochette sur Néoprisme ? » « Attends, je t’écris un truc ».

Gregory Hoepffner :

Cette image est le fruit de deux obsessions. La première, c’est celle de Nicolas (guitare) pour le feu, en tant qu’élément esthétique et symbolique. Dans son travail de photographe et vidéaste, c’est une route qu’il a déjà arpenté, et notamment pour le tout premier single du groupe.

Cet artwork devait être celui de notre premier EP, prévu en 2018. Et puis, grâce à notre second single « Precious Words », nous avons fait la rencontre de Weyrd Son Records, qui nous a rapidement proposé de ne faire plus seulement un EP mais un album. Il fallait donc pousser tous les boutons plus loin. Nous aimions beaucoup la main comme représentation humaine épurée, et ce livre en flammes tombant vers elle exprimait bien une situation vouée à l’échec.

La deuxième obsession, c’est la mienne, pour ce que nous appelons habituellement « la fin du monde » : le moment-clé où tout est perdu, où il n’y a plus de retour en arrière possible. Comme beaucoup d’entre nous probablement, j’ai été éduqué à l’impact que l’on a sur l’écologie, au fait que notre mode de vie a un prix qu’il faudra tôt ou tard « payer », ou changer. C’est une épée qui trône toujours au-dessus de ma tête, au point qu’elle hante très souvent mes rêves. Dans ces rêves d’apocalypse, il y a souvent une pensée totalement absurde qui revient : « il faut absolument que j’arrive à prendre en photo ce qui est en train de se passer, car c’est magnifique ».

L’horloge écologique continue d’avancer, et notre mode de consommation nous consume. C’est nous qui brûlons.

Gregory Hoepffner

Être encore plus esthétique, encore plus tragique, encore plus inexorable. L’horloge écologique continue d’avancer, et notre mode de consommation nous consume. C’est nous qui brûlons. L’eau monte jusqu’à la noyade, et pourtant la consommation est toujours plus forte. Elle ne craint pas la mort, elle restera jusqu’à la fin, jusqu’à au fond de la nuit, au milieu d’une mer infinie.

Ok super, grosse fête ! Nous partons sur la côte la plus proche de Paris, armés de notre main peinte en dorée. Évidemment, nous sommes en octobre et l’eau est déjà glaciale. Mais la motivation nous rend insensibles au froid. Nous repartons avec ce cliché, déjà assez convainquant.

Et puis c’est le doute. Est-ce que l’on distingue vraiment bien la main ? Est-ce que l’eau ne ressemble pas trop à du sable quand l’image est en petit format ? Est-ce que le message passe vraiment bien ?

Notre album prend plus de temps que prévu à se terminer, et nous avons le temps pour une deuxième session. La main passe de la Manche à la Méditerranée, et le rendu est très différent : l’eau a plus de texture, le bleu est plus profond, et la main est plus claire. Sur certains clichés, on voit même l’horizon.

Pour notre entourage, le choix semble pourtant évident : c’est le premier essai qui l’emporte. Mais pour nous, la décision est moins évidente. Dans notre musique, nous essayons toujours d’avoir un contrepoids à ce qui semble le plus « logique », une ambiguïté. À la première photo épique et presque posée, nous préférons donc la deuxième plus naturelle, plus gracieuse, qui vient surprendre le lourd sujet. Michael de Weyrd Son, toujours très impliqué dans les visuels de ses sorties, nous aide à ramener la couleur que nous avions trop calmé.

Si nous continuons ainsi, il nous reste 20 ans avant l’effondrement.

Gregory Hoepffner

Au même moment, l’ONU tire la sonnette d’alarme en publiant un rapport choquant (et pourtant vite oublié) sur l’état du monde : si nous continuons ainsi, il nous reste 20 ans avant l’effondrement. Quelques mois plus tard, des incendies ravagent l’Australie, pendant que le permafrost continue de fondre et de faire monter les océans. Le parallèle est achevé : cet album s’appellera Twenty Years.

Le son

Twenty years. Vingt ans, et comme le suggèrent certaines voix alarmistes qui alertent sur les dérives écologistes conséquentes qui sont actuellement celles du grand libéralisme, avant l’écroulement du monde tel que nous le connaissons. Twenty years, comme cet album abrasif, chaotique et paradoxalement coloré, qui invite l’auditeur, et tous les autres, à danser sur les braises d’un monde qui ne va pas bien et dont la situation risque de ne pas s’arranger tout de suite. Avec quelles armes lutter ? Avec cette de la danse donc, qu’on engage sur ce post-punk sombre et lumineux, sur ce shoegaze qui sent la cendre et la clope parfumée au menthol, sur cette pop froide qui fait bouger ce qu’il est encore possible de faire bouger. Twenty years. Top chrono.

SURE (Site officiel / Facebook / YouTube / Instagram)

SURE, Twenty Years, 2020, Weyrd Son Records, artwork par Nicolas Di Vincenzo (photo) & Gregory Hoepffner (design graphique)