Shame x Marcel Dzama – Food for Worms


Food for Worms. “De la nourriture pour les vers”, disent les cinq membres de Shame, le groupe du sud de Londres mené par le chanteur Charlie Steen, comme le rappelle avec beaucoup de cynisme et beaucoup d’humour le clip de “Fingers of Steel”, qui critique la course mégalo et générationnelle aux likes, aux reposts, aux vues sur YouTube et aux streams sur les plateformes.

Un groupe qui baignait hier dans le post-punk ténébreux, incendiaire et nerveux, et qui tend, avec les années, à arrondir les angles, à desserrer les dents, à rendre les guitares moins lourdes et les cris moins perçants. Ça arrive à d’autres. Il n’y a foncièrement rien de grave.

Annélides

Des vers, donc. Ces annélides le plus souvent invisibles qui végètent dans les sols, se nourrissent de ce qui s’y trouve, effraient et dégoutent les visions des humains puisqu’ils évoquent le retour à la terre, la fin de toute chose, le corps en putréfaction, bref, la mort.

Quel lien entre ce titre étrange de disque et cette pochette que le groupe a choisi pour l’illustrer ? Sur Bandcamp, Shame laisse envisager une piste, à défaut de donner une réponse claire. Ce visuel, très loin de celui proposé par Tegen Williams pour Drunk Tank Pink ou par Holly Whitaker pour Songs of Praise, est conçu par l’artiste acclamé Marcel Dzama, dont le style évoque les contes de fées sombres et le surréalisme, suggère ce qui n’est pas dit, ce qui se cache sous la surface.” Comme les vers auxquels les humains, malgré les désirs d’immortalité fantasmés depuis la nuit des temps, ne peuvent envisager sans penser à la fin qui, un jour ou l’autre, s’imposera d’elle-même ?

En attendant, ce ne sont donc pas des vers qui se dressent ici sur cette peinture du Canadien Marcel Dzama, mais bien des êtres humains, cinq personnages (références aux cinq mecs qui composent le groupe, sans doute), dont les reflets, dans l’eau, paraissent ne pas être les leurs.

Voyage dans la Lune

Est-ce la gravité de la Lune, très présente sur cette peinture et plus généralement dans l’œuvre de Dzama (le Canadien dit en être obsédé depuis un voyage au Maroc où il la découvrit gigantesque), qui les a fait émerger des flots de la même manière qu’elle provoque les marées en faisant bouger les océans ?

Instagram de Marcel Dzama

Une Lune qui n’est pas pleine mais dessinée ici en croissant comme dans l’Islam – ou comme dans les dessins des enfants qui ont besoin, d’un seul trait circulaire, de différencier l’astre de la nuit et celui du jour –, mais dont la lumière nous permet de voir clairement ces figures, dont quatre ont camouflé le visage mais dont une, au premier plan, nous laisse voir un sourire figé, étrange, inquiétant.

 

 
 
 
 
 
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Ses bras se courbent dans le ciel, ses habits à pois évoquent, pour Dzama et comme dans nombre d’autres de ses dessins et peintures, un ballet de Picabia des années 1920 (Relâche), artiste que Dzama admire comme il admire Marcel Duchamp, William Blake ou Francisco de Goya.

Francis Picabia. Study for Relâche, Jean Börlin. 1924

Des artistes que les sorcières, les ténèbres et les rites anciens ont tous recherché dans leurs travaux et qui n’auraient sans doute pas reculé devant les peintures de Dzama, un artiste qui propose, il faut bien le reconnaître, une œuvre absolument inattendue pour un groupe défendant cette musique-là et à ce moment-là de sa carrière. Et c’est aussi l’une des raisons qui fait de ce travail de Dzama pour Shame l’une des pochettes de disques les plus intrigantes et réussies de ce début d’années 2023.

Shame x Marcel Dzama – Food for Worms
Shame x Marcel Dzama – Food for Worms

Shame (Facebook / Instagram / Bandcamp / Twitter / YouTube / Soundcloud)

Shame, Food for Worms, 2023, Dead Oceans, 44 min., artwork de Marcel Dzama.