Shame x Tegen Williams — Drunk Tank Pink


Un Polaroid avec deux photos pour le prix d’une, et un homme mûr au crâne dégarni et à la mine sereine. Les deux photos sont prises en noir et blanc et proposent la même vision, à quelques secondes d’intervalles, du même homme, un proche du groupe Shame, qui n’est autre que le père de l’un des membres du quintet post-punk de Brixton, le batteur Charlie Forbes. Sur Twitter, Shame disait donc :

De la vertu des pubs

« C’est avec un immense plaisir que nous annonçons un nouveau chapitre de Shame. Notre second album Drink Tank Pink sortira le 15 janvier. Il est produit par James Ford avec le père de Forbes, Lenine, en couverture. Lenine a nommé le groupe, nous a fait entrer dans le Queens Head et nous a montré les vertus de l’expérience. Pochette photographiée par Tegen Williams».

Lenine Forbes qui initie des gamins de Brixton au post-punk en les faisant découvrir pour la première fois un pub aujourd’hui fermé, le Queen’s Head, dans lequel les gamins feront leurs armes, leurs premières bringues et même leur premier concert en tant que groupe ? Ça ne s’invente pas et donc même, ça se célèbre. 

Lenine (porter un prénom comme ça dans l’Angleterre de Tatcher devait avoir quelque chose de baroque…) est pour Shame une figure titulaire à qui l’on dit donc merci — sans ces premiers concerts, donnés pour l’anecdote avec le matos des Fat White Family,  il n’y aurait nécessairement eu rien d’autre derrière —, et comme il n’est plus possible de le faire, à l’ancienne, en trinquant dans les pubs en faisant s’entrechoquer les verres et en hurlant sa joie à la cantonade, eh bien c’est via une pochette de disque très sobre que du côté de Shame, on célèbre celui grâce à qui tout a pu, un soir au pub, débuter. À la gloire du camarade Lenine ? На здоровье!

Le son

Moins canailles que sur leur premier disque, le très gouailleur Songs of Praise, Shame livre un disque un peu plus patient et mesuré avec Drink Tank Pink, moins foutraque aussi parce qu’il fut constitué au sein d’une période où les concerts, et le rythme effréné qui va avec (les Anglais en ont donnés plus de 200 lors de leur tournée précédente…), se sont nécessairement interrompus ces derniers mois, crise du Covid oblige. Silence, on ne tourne plus… et on se pose alors, pour mettre en place des morceaux plus nuancés quoique toujours très punk (on ne parle pas non plus d’un revirement à 360 °c, qu’on se comprenne bien…), qui empruntent même parfois à la dynamique très funky des Talking Heads ou Gang of Four sur un titre comme « Nigel Hitter ».

Les morceaux « Human For A Minute » ou « Station Wagon », eux, témoignent d’une maturité esthétique qui, déjà, écarte le groupe d’une certaine forme de classicisme punk (trois accords, trois minutes, beaucoup de bruit) pour s’aventurer vers des territoires plus progressifs. Alors comme ça, de ce côté-là de la Manche, les confinements, plutôt que d’exciter encore plus, apaiser aient-ils ?

Shame (Facebook / Instagram / Bandcamp / Twitter / YouTube / Soundcloud)

Shame, Drunk Tank Pink, 2021, Dead Oceans, 42 min., artwork de Tegen Williams