Monsieur Crane x LLCoolJo – Monsieur Crane


Monsieur Crane x LLCoolJo - Monsieur Crane

C’est peut-être bien la convocation, incontrôlée, d’un souvenir d’enfant, qui nous a obligé à nous pencher sur la pochette éponyme de Monsieur Crane, ce disque signé sur un label (Le Turc Mécanique) qui aime décidément signer des artistes aux noms particulièrement étranges, parce qu’évocateur d’une banalité réutilisée (de Balladur à Empereur, de Jardin à Strasbourg, l’un des autres projets de Monsieur Crane). Car lorsque l’on est pour la première fois tombé sur cette fumée rosée, dont les contours prennent la forme d’un visage sans chair, et qui paraît s’être formés via les émanations toxiques d’une femme visiblement apeurée par ce qui est en train de se dérouler sous ses yeux, on a instinctivement pensé au Rocher du Crâne, monument naturel dont le nom dit l’apparence et où le Capitaine Crochet, infâme, fait prisonnier Lily la Tigresse (plus ou moins : la nana de Peter Pan), dans le Peter Pan de Disney (sortie en 1953). Voilà pour notre patrimoine mémoriel.

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Et pour celui du principal intéressé ? Et bien rien à voir avec le Pays des Merveilles, le crocodile bouffeur de pendules, ou le London que l’on survole la nuit, à dos de poussière d’étoile. « Je dessine des crânes depuis ma petite enfance. Ce qui inquiétait un peu ma mère s’est vite avéré être une pure banalité de notre époque aujourd’hui !  Pourquoi ? Je ne sais pas trop, petite fascination pour les trucs vaudous quand j’étais petit…et pour Albator ! »

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Le vaudou, Albator, et des crânes partout, effectivement. Sur les pochettes des disques Poubelle la Vie et We Don’t Need Emotion (sacrés titres) notamment, et bien que ces productions-là soient considérées comme « non-officielles ». Et quand ce ne sont pas des crânes, qu’ils renvoient au symbole légendaire du pirate en tous genres ou à celui d’un visage décharné, ce sont des formes évoquant les songes qui font transpirer dans le sommeil et remuer les névroses (Cauchemard) qui sont figurés. Ou des garçons qui ressemblent tout de même drôlement à des filles (lorsqu’il s’agit de Strasbourg en l’occurrence). « Oui j’aime les cranes. Même si l’idée de cette pochette-là, c’est 100% celle de LLCoolJo, l’auteur du visuel (ndlr : et lui aussi membre de Strasbourg). C’est sûrement parce que je me sens un peu comme un pirate ultra-normé du quotidien ! »

Monsieur Crane - Cauchemard

Monsieur Crane – Cauchemard

Le son

Le 10e album de Monsieur Crane est le 1er qui doit être considéré comme un album officiel. Tabula-rasa. L’album de la transgression, puisque ce n’est pas encore celui de l’insurrection, et le sillon de Strasbourg et de Lonely Walk, qu’il mène également, creusé par ce digne compositeur de l’ère digitale (des rimes, de la prose et des samples) qui livre un disque d’une froideur aussi redoutable que ce qui est décrit ici : à savoir, le monde des années 2010, silencieux quoique bruyant, ultra-connecté quoi qu’ultra-absent. Le disque, c’est pas si fréquent, d’un type qui en a donc bel et bien dans le crâne.


Monsieur Crane (Facebook / Bandcamp)

Monsieur Crane, Monsieur Crane, 2016, Le Turc Mécanique / Iceberg / Ascèse Records, 31 min., pochette par LLCool Jo