Balladur x Pierre Bujeau – Plage Noire, Plage Blanche


Balladur x Pierre Bujeau - Plage Noire, Plage Blanche

En posant pour la première fois les yeux sur la pochette de ce premier album de Balladur (Plage Noire / Plage Blanche), confectionné par le photographe Pierre Bujeau, on est saisi par un malaise identique à celui qui nous avait déjà saisi lorsque l’on avait dû analyser la pochette de Dumb Flesh, l’album de Blanck Mass, dont le visuel signé Alex de Mora entremêlait les chairs et les formes avec une obscénité salement curieuse. Bizarreries.

Blanck Mass x Alex de Mora x Dumb Flesh

Exorcisme à 360° ?

Similitudes, et différences. Chez la moitié de Fuck Buttons (Benjamin John Power, fondateur de Blanck Mass donc), rien n’était correctement mis à sa place (on ne sait toujours pas si ce sont des bras, des torses, des cuisses ou autres qui figurent, mélangés, sur le visuel). Ici, chez Balladur, un peu plus d’ordre dans l’agencement des choses. Enfin à peine. Car si le corps de cet humain qui se présente devant nous, le torse poilu à l’air sur une plage désertée, ne souffre d’aucune déformation quelconque, c’est exclusivement sur le visage que se concentre l’affreux illogisme physique. Comme si son possesseur avait été victime d’un exorcisme malin, comme dans les chefs-d’œuvres cinématographiques ayant popularisé l’acte de rotation du cou à 360° (la saga L’Exorciste, en premier lieu), ce visage apparaît ici boursouflé et retourné, remplacé de face par ce que l’on a ordinairement l’habitude de retrouver à l’arrière du crâne (c’est-à-dire : les cheveux, noirs, pas trop nombreux et bouclés, en l’occurrence). Lorsque les démons s’engouffrent dans les corps, ceux-ci se détériorent.

Le genre de faciès qui met mal à l’aise. Ou qui interpelle. Les deux en fait. Et pas seulement lorsque le regard provient de l’extérieur. Car depuis l’intérieur aussi, on s’interroge. Charles Crost, fondateur de Turc Mécanique et sans doute piètre stratège en référencement web, puisqu’en plus de Balladur, il héberge aussi notamment les projets Strasbourg, Empereur et Dead :

« Cette pochette est super casse pied : aucune indication nulle part, rien, un insert mystérieux. Un enfer pour les disquaires. Mais elle est à l’image du disque : elle ne tolère aucun commentaire, est suffisamment claire et complète pour se suffire à elle-même. »

Deux plages, deux faces

Casse-pied, et doublée. Car deux photos, quasiment similaires (« on ne sait même pas dans quel sens attraper le disque », ajoute Charles), sont utilisées pour illustrer chacune des deux faces du disque. Deux faces radicalement distinctes et pourtant complémentaires, toutes deux prises dans un endroit identique (ou en tout cas voisin), comme un écho à l’architecture sonore bilatérale du disque, que l’on peut aisément diviser en deux parties, l’une étant plutôt claire et l’autre plutôt sombre. Amédée de Murcia, également membre de Somaticae, de Roger West et d’Insiden, s’explique :

« Chaque été avec Romain (ndlr : Romain de Ferron, chanteur du duo) on fait les vendanges sur une île. Après le taff dans les champs, on a l’habitude d’aller picoler sur la plage le vin du domaine. Tu as deux plages sur cette île. D’un côté la plage blanche, qui représente la face cool du disque. Et de l’autre la plage noire,  qui représente la face la plus saturée. Mais désormais, parce que la vie est cruelle, on est blacklisté de cette île. » Avec une gueule pareille arborée sur une plage gentille, ça se comprend…

Barbe et bouclettes

En fait, c’est en mettant ces deux versions du disque l’une à côté de l’autre que l’on pige vraiment. Et que l’on comprend qu’il n’y a a priori nul exorcisme dans tout ça, ni d’ovni qui aurait maladroitement emprunté, comme dans le premier épisode de Made In Black (big up Edgar), la peau d’un humain afin d’en faire son camouflage charnel provisoire. Car l’on comprend alors, et bien que l’écart de luminosité entre les deux laisse présager le doute, que les deux faces du disque proviennent d’une seule et même photo, celle de cet homme assis sur le sable, les deux bras en extinction afin de faire tenir le reste du corps, et la tête relevée comme lorsque l’on souhaite profiter au maximum du Soleil brûlant qui s’abat sur la peau. C’est donc sûrement une barbe épaisse que l’on doit voir ici, et non pas une chevelure. Une histoire de poils, en fait.

Le son

Entre The Soft Moon, Suicide et Cabaret Voltaire, entre post-punk, shoegaze et cold-wave, Balladur fait basculer l’assemblée à l’extrême Nord (ou à l’extrême Sud), là où les contrées s’avèrent aussi glaciales que ces synthés et ces guitares aussi noires qu’une campagne politique bien étrangement financée. Le Blanc et le Noir ont dû cohabiter. Forcément, ça a fait du gris. Le coloris du béton.

Balladur (Facebook / Bandcamp / Soundcloud)

Balladur, Plage Noire / Plage Blanche, 2015, Le Turc Mécanique, 39 min., pochette par Pierre Bujeau