Marilyn Manson x Nicholas Cope – The Pale Emperor


Marilyn Manson x Nicholas Cope - The Pale Emperor

Sobre et classieux, Marilyn Manson (dont on rappelle qu’il est à la fois le nom de scène de Brian Hugh Warner et le nom du groupe dont il est le leader) pose avec élégance devant l’objectif modeux de Nicholas Cope pour les besoins de la pochette de The Pale Emperor. En noir et blanc, pâle comme l’empereur que suggère le titre de ce 9e album studio, le visage de Marilyn Manson, déstructuré comme le triptyque du portrait de Lucian Freud par Francis Bacon, paraît porter les stigmates d’une âme tourmentée. C’est la manifestation par l’image d’une transition sonore, qui aura vu passer l’ancien danger public médiatique numéro 1 d’une Amérique réac et bien-pensante, du gothique glam et indus avec ses paillettes subversivo-grotesques au blues-rock de stade, toujours révolté mais de moins en moins clouté (christiquement parlant).

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«Etudes pour un portrait de Lucian Freud», par Francis Bacon

De la figure hardeuse…

Ce travail de Nicholas Cope, issu d’un shooting remarquable qui présente un Manson en empereur des ténèbres bipolaire et tourmenté par son propre intérieur, témoigne aussi de l’évolution toujours plus changeante d’une iconographie évolutive. En 20 ans de carrière, son protagoniste iconique, d’abord figure hardeuse destructrice, sera devenu figure modeuse interrogatrice.

Cette mutation, il semble que Manson ait commencé à l’envisager aux lendemains de The Golden Age of Grotesque et de sa pochette qui représentait alors le visage d’un Manson maquillé comme un clown menaçant et pervers. Car jusqu’ici, et jusqu’à cette dé-radicalisation également perceptible sur scène (où il apparaît à partir de 2003 le torse couvert), l’univers iconographique de MM (à ne pas confondre avec Marie Madeleine), mis en scène dans l’intégralité de ses pochettes depuis la parution de son 2e album Smells Like Children, oscillait entre l’obscène et le clownesque, le transgenre et l’horrifique, l’anti-christique et le satanique exacerbé.

Avant 2004, date de la sortie de son best-of Lest We Forget, on baigne alors dans la période la plus théâtralement provocatrice de Marilyn Manson. Sur scène, bien sûr, où ses dérapages réels (lacération de sa poitrine en public, jets d’objets sur le public et sur ses musiciens, mise à feu de la batterie de son batteur Sara Lee Lucas…) se confondent très rapidement avec ceux que le public et les médias racoleurs ont eu vite fait d’inventer (entre 100 autres, la rumeur court par exemple au début des années 2000 que MM, lorsqu’il ne sacrifie pas des animaux sur scène, se brise les côtes afin de pouvoir se faire lui-même une fellation…)

La provocation visuelle, permanente, l’est évidemment aussi dans ses clips (celui de « Long Hard Road out of Hell », où il singe le Christ sur la Croix avant de se travestir, fera notamment largement scandale), et également sur les pochettes de ses albums, où il est alternativement figuré comme un croque-mitaine gothique (Smells Like Children), comme un Christ salement amoché par l’étape de la Passion (Holy Wood), comme une version plus trash et sexuellement modifiée du Aladdin Sane de David Bowie (Mechanical Animals). Cette dernière, signée par l’Américain Joseph Cultice (qui a aussi designé des pochettes de Björk, de Moby, de Nine Inch Nails, de Beck, de Korn ou de Patti Smith), apparaît comme un hommage de Brian à David, un artiste auquel il aura souvent emprunté le strass, les paillettes, les coloris excentriques, le maquillage qui permet de répandre le doute sur l’identité sexuelle du protagoniste.

…à la figure modeuse

Mais il faut croire que le personnage, parfois si durement attaqué (on l’accuse notamment, après la fusillade du lycée Columbine en 1999, d’avoir participé à la création des ambitions meurtrières des deux adolescents tueurs), a fini par épuiser l’homme. Alors, du porte-étendard excentrique et théâtral de combats perdus d’avance (l’anti-religion, l’anti-impérialisme, l’anticonformisme), Brian Hugh Warner tend à se faire désormais le porte-plume de ses propres craintes, et bascule dans des problématiques plus intimistes et moins polémiques que par le passé. Le fusil demeure sur l’épaule (écoutons  « Killing Strangers » pour s’en persuader), mais la lanière qui permet de le tenir est juste un peu moins solide qu’avant.

D’un point de vue visuel, la transition est en ce sens perceptible dès 2007. Personnage vampirique élégant sur Eat Me, Drink Me, figure et gestuelle gentiment menaçantes sur The High End of Low (2009), gros-plan sur un visage préoccupé sur Born Vilain (2012)… Si les références au passif tumultueux de l’artiste sont encore bien présentes, on aurait plutôt tendance à voir ces références comme des révérences, tant elles contrastent avec le radicalisme visuel (et sonore) qui était hier dressé comme une véritable arme de communication et de dénonciation massive par le groupe et par ses adeptes profanateurs.

Comme Sufjan Stevens avec Carrie & Lowell, et s’il ne consacre pas son album entier au sujet comme l’auteur d’Illinois, Marilyn Manson dédie The Pale Emperor à sa mère, décédée peu avant la composition de l’album. Le fait de formuler ce tracas de l’âme est un indice évident sur les intentions de son auteur, particulièrement lyrique et préoccupé dans ce 9e album. C’est ce tournoiement de l’esprit que la pochette et la photographie de Nicholas Cope semblent mettre en avant, comme s’il s’agissait de symboliser, en floutant le visage du métalleux, la nécessité de stabiliser l’intérieur avant de se préoccuper de l’extérieur. Égérie de Saint-Laurent en 2013 (via l’objectif d’Hedi Slimane), Marilyn Manson paraît bien devenir, avec The Pale Emperor, l’égérie troublée de sa propre personne.

Marilyn Manson x Hedi Slimane x Yves Saint-Laurent

Le son

The Pale Emperor signe un tournant majeur dans la carrière de Marilyn Manson. Loin des protestations carnavalesques et du métal gothique qui ont forgé sa personnalité radicalement contestataire, l’ancienne cible préférée des réactionnaires missionnaires d’une morale salutaire bascule dans le blues rock rêche et crevassé, parfois étonnamment minimal (« Day 3 », « Fall of the House of Death ») qui, s’il est toujours porté par des virulences forcenées (« Killing Strangers », « Deep Six »), témoigne de l’apaisement évident d’un esprit toujours déviant, mais sans doute plus canalisé qu’auparavant. De très loin, le meilleur Manson depuis le mythique Antichrist Superstar, témoin privilégié d’une évolution artistique fascinante.

Marilyn Manson (Site officiel / Facebook / Twitter)

Nicholas Cope (Site officiel)

Marilyn Manson, The Pale EmperorCooking Vinyl / Hell, 2015, 52 min., pochette par Nicholas Cope