Lil Nas X x Charlotte Rutherford – Montero


Lil Nas X – Montero

En 2021 aux États-Unis, l’album le plus attendu de la rentrée est celui d’un rappeur noir ostentatoirement gay qui, depuis son coming out il y a deux ans, fait souffler un vent de liberté, de fraîcheur et d’émancipation sur un milieu, celui du hip-hop, où il devenait urgent de faire entendre et voir de nouvelles façons de se représenter.

Lil Nas X © Charlotte Rutherford

Ce rappeur, c’est évidemment Lil Nas X, un jeune homme (Montero Lamar Hill) originaire d’Atlanta et dont le tube de “Country trap” (la rencontre de la musique country et des musiques hip-hop / trap) “Old town road” avait, en 2019, fait l’effet d’un raz-de-marrée, puisque le morceau était demeuré seize semaines en tête des charts américains, battant au passage tous les records.

De l’“Old town road” à la cité LGBTQ+

C’est après le succès inédit de ce tube que Lil Nas X avait fini par faire officiellement son coming-out. Quelques mois plus tard, un nouveau titre assumait cette homosexualité qu’il illustrait aussi sur la cover de son EP 7. On y voyait alors un cowboy (son personnage de “Old town road”) s’apprêter à entrer dans une ville colorée arborant l’arc-en-ciel LGBTQ+ et des triples X roses et bleus évocateurs.

Définitivement entré dans cette cité depuis la parution de cet artwork, Lil Nas X devenait en le faisant, si ce n’est le premier rappeur gay (Frank Ocean, Mykki Blanco ou encore Tyler, the Creator lui ont ouvert la voie), du moins le plus queer des rappeurs grand public (c’est en 2021 le rappeur le plus streamé sur Spotify), un rappeur noir « power bottom » (le « bottom » est le partenaire « passif » dans un rapport homosexuel masculin) et fier de l’être.

En témoigne son dernier clip en date, celui, hautement polémique, de « Montero (Call Me By Your Name) » (une référence au livre d’André Aciman, adapté au cinéma par Luca Guadagnino), où Lil Nas X, descendu aux Enfers, se retrouve à chevaucher Satan lui-même au sein d’une vidéo où imagerie religieuse et scènes (homo)érotique se mêlent joyeusement.

En témoigne, aussi, la pochette de son premier album Montero, image que l’on doit analyser sous le prisme de cette évolution, de cette venue à un nouveau monde. Le kitch baroque de cette image conçue par la photographe Charlotte Rutherford s’éclaire d’une autre lumière : celle de la naissance.

Lil Nas X © Charlotte Rutherford

Re-born

Naissance… ou renaissance, plutôt ? Car Montero, le nom de cet album, est d’abord le prénom de l’artiste lui-même. Et, l’œuvre qui a inspiré Montero (l’homme) et la créatrice de sa pochette (Charlotte Rutherford) n’est autre qu’une représentation de la Genèse, par John Stephens.

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Ajoutez à cela les multiples photos et posts sur les réseaux sociaux de l’artiste annonçant l’arrivée prochaine de cet album comme celle de son bébé, de « Baby Montero« , et l’interprétation s’impose d’elle-même : sa route vers une cité LGBTQ+ terminée, Montero est prêt à renaitre dans un monde où il pourra être tout à fait lui-même.

Jardin d’Éden

Nous voilà donc projeté dans un Éden revisité, où la figure nue planant au milieu de la pochette (est-ce Adam ou Eve ? Peu importe) n’aurait pas de genre défini et flotterait tranquillement dans une bulle aux couleurs du drapeau de la pride.

Lil Nas X – Montero
Lil Nas X x Charlotte Rutherford – Montero

Et si dieu avait fait l’Homme a son image, alors dans ce jardin-là, l’individu queer et noir retrouverait sa place, dans la nature et dans l’histoire ; et pourrait finalement s’épanouir. Tel la nuée de papillons, peut-être à peine éclose, se libérant de leurs cocons et de leur lourde carapace de chenille pour s’épanouir dans les couleurs de leur véritable identité.

Une nature luxuriante et vivante où d’autres figures humaines noires (mais asexuées) semblent tranquillement vaquer à leur occupation. Dans un jardin où le rose des filles et le bleu des garçons se mêlent souvent pour donner naissance au violet des papillons et de la libération.

https://twitter.com/LilNasX/status/1431339749650751489?s=20

Comme cette grosse bulle violette qui vient s’écraser contre les édifices de l’arrière-plan. Des édifices arborant pourtant fièrement ce qui semble être la face de l’artiste, comme pour symboliser que pour renaitre, il faut d’abord détruire, et faire face aux nombreux obstacles qui peuvent se présenter (en témoigne les montagnes, immensément hautes, en arrière-plan).

Car si ce jardin devait avoir le même destin que l’Éden que nous connaissons bien, alors nos personnages risqueraient bientôt d’en être éjectés, pour affronter un monde peut-être pas encore tout à fait prêt à les accueillir…

Un rappeur, noir, queer et flamboyant, on aurait effectivement pu se demander si le monde qui interdit l’avortement au Texas, voit les Talibans reprendre le contrôle de l’Afghanistan, interdit la promotion d’image gay en Hongrie et juge toujours l’homosexualité comme une maladie en Chine, est bien prêt pour ça. Et pourtant, Montero cumulait moins d’une semaine après sa sortie 1,5 milliard d’écoutes sur Spotify.

Et un monde où Ru Paul organise la 13ᵉ éditions de son concours de Drag queen, où un champion du monde s’affiche en Une de Têtu et dénonce l’homophobie dans le foot (Antoine Griezmann) et où un rappeur comme Lil Nas X peut être une star mainstream, c’est un monde qui redonne un peu d’espoir. 

Lil Nas X (Facebook / Instagram / Twitter / YouTube / TikTok)

Charlotte Rutherford (Site officiel / Instagram)

Lil Nas X, Montero, 2021, Columbia, artwork de Charlotte Rutherford