La Femme x Sophy Hollington – Teatro Lúcido


Pour La Femme, le projet de garçons (Marlon Magnée et Sacha Got) qui composent à deux mais s’entourent de plusieurs filles (Clémence Quelennec, Clara Luciani, Michelle Blades, Tatiana Hazel…) en studio comme en live, le postulat paraît avoir toujours été très simple : il faut, pour incarner la musique du groupe sur les pochettes de ses disques, mettre en scène… une femme. Faire écho de manière absolument directe et instinctive à ce qu’indique le nom même du projet. Idée claire. Idée fixe.

Elzo, Tanino, Polygon… et Sophie

L’illustrateur bruxellois Elzo Durt et ses “collages assistés par ordinateur” pour Psycho Tropical Berlin (2013) avec une femme aux yeux vitreux et aux seins dénudés par le fait de l’ambiance tropicale qui réchauffe l’atmosphère. Le bédéiste italien Tanino Liberatore et sa BD érotique et très suggestive pour Mystère (2016) avec une femme qui camoufle, cette fois, son vagin dans ses cheveux (pourquoi pas). L’artiste français Polygon et son glitch art déstructurant pour Paradigmes (2020). Partout, une figure féminine dominante. Le constat marche même pour les singles, au regard de ceux de Sphynx (2016), de Où va le monde (2016) ou de L’hawaïenne (2019).

Pour illustrer Teatro Lúcido, album hispanophone où, par le fait de voyages au Mexique ou en Espagne, la langue espagnole domine, c’est donc la culture hispanique qu’il fallait représenter. Laquelle ? Sous quelle forme ? Avec quels motifs et quelles icônes ? Avec ceux évoqués, c’est étonnant, par les illustrations d’une artiste qui n’habite ni à Malaga, ni à Guadalajara, mais à Brighton, au sud de Londres. L’Espagne et ses cultures protéiformes chantées par des Français et illustrée par une Anglaise ? Allons-y. 

Icônes

Usant de techniques traditionnelles de gravure et notamment de la linogravure – une technique de gravure en taille d’épargne, proche de la gravure sur bois, qui se pratique sur un matériau particulier, le linoleum –, Sophy Hollington bâtit des univers faits de sorcières à talons, de diablotins aux traits fins, de personnages de tarots aux esthétiques punk, glam, médiévaux, de créatures mi-humaines, mi-autre chose, comme dans la saga fantastique de Michael McDowell Blackwater, réédité ces derniers mois avec le succès que l’on sait. C’est un travail, lorsqu’on prend le temps de s’y perdre, absolument fascinant et d’une richesse folle.

Pour La Femme, et après des travaux, nombreux, pour des clients aussi différents que le New York Times, le New Yorker, Celine, Hermes, A24, Wetransfer, WIRED, Nike, Apple ou des publications remarquées chez Rough Trade Books (Autonomic Tarot, 2018), Sophy Hollington a pensé una mujer pourvue des attributs… flamenco. De longs cheveux noirs, la robe qui descend très bas et qui laisse voir les jambes, les talons hauts, la guitare acoustique et même les larmes qui, à force de ces émotions trop intensément sollicitées, coulent le long de la joue. Autour d’elles, une végétation étrange et monumentale a éclos.

Au sol, un serpent noir a émergé, à moins qu’il ne s’agisse d’un démon qui aurait pris l’apparence de l’animal rampant le moins populaire de toute l’histoire judéo-chrétienne. Une touche d’irréel supplémentaire pour une pochette qui n’en manque pas et qui offre au groupe français l’une des pochettes, une fois encore, les plus réussies de l’année.

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Sophy Hollington (Site officiel / Instagram)

La Femme, Teatro Lúcido, 2022, Disque Pointu / Born Bad Records, artwork de Sophy Hollington, 52 min.