Jumo x Cela — Et le vent ?


Il y a quelques années, l’exposition que l’on organisait galerie Arts Factory à Bastille et consacrée au label Nowadays Records (Fakear, La Fine Équipe, Le Vasco…) s’ouvrait avec les dessins aux traits fins et aériens de Cela, le collectif dans lequel œuvrait Nina Guy qui illustrait alors l’univers visuel de Jumo, le projet d’un graphiste de formation (Clément Leveau) qui trouvait avec la musique electronica un terrain propice à l’expression de ses rêveries mentales les plus intenses. Pluridisciplinaire, le projet donnait une importance quasi égale à la vidéo et donc aux visuels, tous inscrits dans cette verve minimale et éminemment élégante que l’on associait jusqu’alors à Jumo. Aux dessins pantomimes d’hier succède cette photo qui explore des pistes mais ne propose pas de chemin spécifique pour s’y rendre. Quelques questions à Clément Leveau.

Les précédents disques de Jumo étaient pensés avec Nina Guy du collectif Cela. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ? 

Depuis quelque temps, Nina vit à l’étranger, on a donc moins l’occasion de travailler avec elle-même si on échange encore beaucoup. Pour cet album et les précédentes sorties, j’ai travaillé essentiellement avec le collectif, et en grande partie avec Luce Terrasson qui est designer textile et qui a intégré Cela il y a deux ans et demi.

La pochette de l’album Et le vent ? s’éloigne largement de ce que, visuellement parlant, on avait pu voir jusqu’alors. Pour quelle raison ? 

Je pense qu’à l’échelle de mon projet, cet album marque un changement assez évident. Je me suis lancé dans autre chose, sans pour autant renier ce que j’ai pu faire avant. Je me suis laissé un an sans sortir de morceaux, pour expérimenter et laisser les choses se faire sans attentes particulières. Ça m’a emmené sur de nouveaux territoires. Je pense que visuellement c’est pareil, je me suis détaché de ce que j’avais eu l’habitude de faire en sortant de ma routine habituelle.

Une chaise pour dire le vent ? D’où l’idée vient-elle et quel sens donnes-tu à ce titre de disque ?

Et le vent ? n’est pas porteur de sens concret. Le vent n’est pas palpable mais presque toujours présent. C’est aussi l’une des dernières choses qu’on ne peut pas altérer, comme la mer d’ailleurs (là où je vais pour écrire). On n’y prête donc pas attention en temps normal, mais dès qu’on s’y attarde, ça nous ramène au réel, ça nous re-connecte à l’instant présent.

Cette chaise vide est comme une invitation pour l’esprit à cet état de disponibilité

Jumo

Personnellement, ça engendre chez moi une disponibilité d’esprit propre à la réflexion et donc à la création.  Cette chaise vide est comme une invitation pour l’esprit à cet état de disponibilité (de plus en plus rare et inaccessible à notre époque). L’idée n’est pas venue directement pour la pochette, mais d’abord pour des vidéos accompagnant les morceaux que j’ai sortis avant l’album tout au long de l’année dernière.

Peux-tu nous raconter la genèse de cette pochette ?

Ça va avec un ensemble. La musique de l’album a été composée  dans des temporalités différentes, dans une période où j’avais arrêté les releases et les concerts pour me focaliser sur la musique, mais sans pour autant m’enfermer en studio. J’ai pas mal bougé avec le minium pour capter des idées, puis je rentrais chez moi ordonner tout ça. 

Parallèlement à ça j’ai écrit pas mal de textes que j’ai ensuite découpés et ré-agencés pour créer des sens nouveaux. C’est devenu la base de travail de l’album, même si ni la musique ni les textes n’étaient voués à former un tout. On a voulu les assembler, on a cherché un moyen de poser le texte sur la musique à travers la vidéo. On a donc projeté ce texte dans des environnements éteints pour leur apposer un sens ou une émotion, mais de manière assez aléatoire, comme des sous-titres en direct dans un contexte concret (et non-fictif).

L’idée est, d’une part, de provoquer, stimuler ou interroger les émotions du spectateur, et d’autre part de re-questionner le rôle de l’image dans l’écoute de la musique. Le spectateur se retrouve face à un son, un texte, un contexte, le tout mis en exergue par la vidéo, une narration abstraite qui guide certaines émotions ou certains souvenirs et offre à chacun une expérience différente. La pochette a été réalisée après toutes les vidéos dans la continuité de ce travail.

Quel lien doit-on comprendre entre le titre du disque et cette image ? 

Le vent est difficilement représentable, encore moins en intérieur. Le ramener à côté de cette chaise créée un espace paisible propice à une certaine disponibilité. Comme pour les clips, j’ai voulu mettre en relation des mots avec un contexte. Ce décor est tout à fait différent du sens soulevé par le texte mais l’ensemble doit créer une interrogation, un sens nouveau, et je préfère laisser chacun s’y projeter.

Le son

Le vent ? Matière aussi peu malléable que la musique électronique, sans doute, cette musique qui possède la particularité, en 2020, de pouvoir être fabriquée sans instruments de musique (dans le sens traditionnel du terme), et qui conserve de fait ce côté tellement insaisissable. Insaisissable comme la musique de Jumo tiens, ce producteur français auquel l’on pourra associer beaucoup de terme (electronica, techno, drum & bass…) et chez qui l’on retiendra surtout cette idée de conversation permanente entre plusieurs éléments. Les textes scandés par d’autres (le rappeur Hyacinthe, la chanteuse Oré, la productrice techno Léonie Pernet, le très james blakien Awir Leon…), les nappes qui s’envolent vers le ciel ou frôlent les sols, les images qui se confondent avec le son. Et le vent ? Il a tout mélangé. Et il a eut raison de le faire.

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Jumo, Et le vent ?, 2020, Nowadays Records, 55 min., artwork par Luce Terrasson du collectif Cela