Grand Blanc x labeks x CESTAINSI – HALO


Il y a des semaines qui s’évaporent moins vites que d’autres. Des semaines où l’on regarde les gouttes couler le long des vitres, les feuilles tomber du haut des arbres, les oiseaux voler ici et là sans que l’on comprenne jamais réellement le sens de leurs mouvements. Il y a des semaines qui deviennent des mois puisque là où l’on se trouve, dans un calme qui n’est pas celui de la ville, mais celui que l’on appelle “campagne”, les priorités ne sont pas les mêmes et les sollicitations plus ponctuelles. Des semaines, des mois, des années où l’on prend vraiment le temps, celui que l’on a la sensation d’avoir laissé filer à d’autres moments. Celui qui s’est paumé et que l’on tente vainement de retrouver. On ralentit au lieu de se précipiter. On réfléchit avant d’agir. On crée.

Grand Blanc © labeks

Latence

Cinq ans séparent Image au mur, le deuxième LP de Grand Blanc sorti en 2018, de HALO, un troisième album sorti ces derniers jours. Cinq ans, dans une industrie du disque où il faut produire souvent et prendre la parole beaucoup sur les réseaux afin de rappeler au monde virtuel que l’on existe toujours, c’est un écart qui s’apparente presque à un risque – le 21e siècle adule vite les uns… en oubliant plus rapidement encore les autres. Cinq ans durant lesquels Grand Blanc a pris le temps de quitter un label (Entreprise, lié à la major Sony Music), de monter le sien (Parages, dont ce disque est la sortie 001, numérotée comme chez Factory Records), de se poser les bonnes questions et de choisir le bon endroit pour en développer les réponses. Cinq ans pour créer un disque avec un horizon qui ne dirait pas urgence.

Grand Blanc © Romain Ruiz

À quatre, les membres de Grand Blanc (Benoît David, Camille Delvecchio, Luc Wagner et Vincent Corbel) ont investi la maison de l’un d’entre eux, près d’une forêt et d’un petit village, où le groupe a pris l’habitude de se retrouver pour composer ou répéter. Dans le grenier, ils ont monté un studio de fortune afin de pouvoir faire germer et enregistrer les idées dès qu’elles seraient prêtes à l’emploi, ont choisi la mise en sourdine. Pas forcément d’agenda.

Parages

Les séjours à la maison se resserrent et les semaines se transforment en mois. Sans trop s’en rendre compte, on remplit l’intérieur et on explore le dehors. On apprend par cœur les chemins de la forêt, on trouve des noms pour chacun des nouveaux recoins, et enfin, doucement, la map ouverte prend forme.” Pour Grand Blanc, les recoins de ce monde-là s’appellent désormais Parages. Le nom s’est imposé, est devenu celui du label auto-géré par le groupe et le fil d’Ariane d’un album en voie de gestation.

Grand Blanc

Un album “créé à l’abri, sous le velux du grenier, pendant que les saisons passaient dans les Parages”, écrivent-ils avec la jolie prose qui les caractérise si bien. Un album dont émane une poésie douce, discrète, pudique (que ce soit Camille ou Benoît qui chante, le mastering d’Adrien Pallot met moins en avant les voix aujourd’hui qu’hier, car l’intention globale est moins pop). Une poésie qui ne s’épuise pas avec la rime de trop, qui se contente d’être. Des mots au service d’une musique plus expérimentale, plus patiente, moins évidente. Une musique honnête, singulière, mature, très personnelle. Risquée ? Peu importe.

Alors nécessairement, pour ce groupe qui s’était révélé il y a une dizaine d’années avec le terrible single “Samedi la nuit”, où la froideur de la cold-wave répondait à la chaleur du punk, le son a pris une envergure nouvelle.

Les tubes “Degré zéro”, “L’homme serpent”, “Montparnasse” ou “Bosphore” (sur l’album Mémoires vives, illustré par Max Vatblé) sur lesquels on dansait en fronçant les sourcils et en répétant des refrains bien articulés (“noirceur, petite sœur, ce que tu as grandi”) paraissent bien loin. C’était une pop qui parlait parfois de terrains vagues mais qui sentait très durement la ville. C’était une pop qui nous faisait comparer les fantasmes liés à la dureté des paysages messins à ceux que l’on peut retrouver plus au nord, à Manchester, où dans les années 80, quelques-uns, Joy Division en tête, avaient gravé dans le béton l’association de la pop en chanson et des synthés dans le (post) punk. C’était hier.

Pop

Aujourd’hui, Grand Blanc fait-il toujours de la pop ? Même pas sûr. Car s’isoler, prendre du recul, humer l’air de la Picardie, pas très loin de Compiègne, plutôt que celui de Metz (où ils ont grandi) ou de Belleville (où ils ont habité longtemps) a tout transformé. Camille Delvecchio : “Notre isolement s’est accompagné d’un changement musical qu’on a eu envie de faire. On a pris le temps de faire un album qui en a demandé beaucoup, de temps. Un disque plus rythmique, plus contemplatif.” Un disque qui surprend et charme par son dépouillement, où la pop électronique a laissé la place au règne de l’acoustique, du progressif, des murmures et des contemplations. 55 minutes qui passent comme autant d’instants captés sur le vif, où c’est l’impression de spontanéité et de lâcher-prise qui domine.

Dans un post Instagram, le groupe résume : “Halo nous a fait plisser les yeux. Il nous a fait saisir des nuances, des nuées de sens, des couleurs vives et des horizons iridescents. À la fin, on est repartis avec une lettre chacun.  ✨✨✨✨HALO. L’auréole lumineuse diffusée autour d’une source lumineuse. Quatre lettres pour un disque plein d’une lumière évanescente, celle qui permet au jour d’entamer sa course et à ce même jour, quelques heures plus tard, de la clôturer.

 
 
 
 
 
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Impressionnisme

Grégoire Bécot, qui travaille sous le nom de labeks au sein du collectif CESTAINSI et que le groupe a découvert, comme souvent, via Instagram, est arrivé dans les dernières semaines de ce parcours créatif, au moment du mastering du disque. Un artiste qui “peint des paysages numériques qui tendent vers l’impressionnisme. Des jeux de lumière, un dérèglementé de la réalité, une hésitation entre le concret et l’abstrait… musicalement, c’est aussi l’endroit où l’on se trouvait. C’est quelque chose qui nous a tout de suite parlé”.

Page Instagram de labeks

Camille : “Grégoire est venu à la maison avec son appareil photo. Il y est resté deux jours. On lui a raconté et présenté tous les recoins de la forêt. Il a capturé plein d’images qu’il a modifiées sur son ordinateur, en réfléchissant à un tas de pistes. C’est lui qui a fait toutes les pochettes des singles : Pilule bleue, Immensité, Loon. Lui qui a donné ce côté contemplatif à la pochette de HALO, cette impression que les idées s’enchaînent sans trop de rupture, via fade in fade out.” Une image finale qui “raconte vraiment le disque”, comme s’en félicite Benoît David. “Avec Grégoire, j’ai l’impression qu’on s’est parfaitement compris, qu’il a saisi ce que l’on voulait transmettre avec HALO”.

Affect

Et concrètement, cette pochette, que représente-t-elle ? Camille : “C’est une photo de notre jardin. Donc forcément une image très affective pour nous. Les petits détails que l’on aperçoit en bas à gauche sont les branches d’un arbre qui est dans le jardin. Une colonie d’oiseaux, pendant la création de notre album, s’y posait toute la journée… On avait l’impression que tous les oiseaux du village étaient là ! Des oiseaux qu’on a aimés… et qu’on a maudits, lorsqu’ils chantaient pendant qu’on essayait d’enregistrer…”

Précisons enfin, et ce n’est pas si fréquent, l’apport du travail typographique dans cette pochette de disque. Une typo également signée par le collectif CESTAINSI, et dont l’usage, dans l’artwork de HALO comme dans celle des singles, évoque au groupe “un mur invisible, un écran, une fenêtre” entre le public qui écoute le disque et les protagonistes qui l’ont fabriqué, dans cette maison discrètement mise en exergue à travers la direction artistique d’une œuvre définitivement tournée vers le sensible, vers l’introspectif, vers le repli qui ne veut pas dire autarcie, mais qui rappelle simplement la nécessité, lorsque l’on fait un métier qui demande autant de don de soi et de mise en avant, de la prise de recul.

Grand Blanc (FacebookTwitterBandcampSoundCloudYouTube / Instagram)

labeks (Site officiel / Instagram)

CESTAINSI (Site officiel / Instagram)

Grand Blanc, HALO, 2023, Parages, 55 min., artwork de Grégoire Bécot aka labeks et de CESTAINSI.