Grand Blanc x Peter Heinrisch – Montparnasse


Grand Blanc x Peter Heinrisch - Montparnasse

Grand Blanc vient de l’Est, de la ville de Metz plus précisément. On le précise d’emblée car le quatuor, même pas complètement lorrain à la base (le bassiste Vincent vient pour sa part de Mantes-la-Jolie, en région parisienne), fait valoir cette origine géographique d’une manière tellement accentuée qu’il donnerait presque l’impression de devoir justifier les ambiances cold-wave et post-punk particulièrement glaciales de ses premiers morceaux par les atmosphères pareillement glaciales des sentiers qui composent la cité messine. Comme chez Durkheim, c’est l’environnement social (et même ici, climatique), qui façonnerait l’individu qui en est issu. Grand Blanc vient du froid. Et fera donc de la pop toute froide.

L’obsession messine

L’Est, et la ville de Metz. On s’y réfère ainsi souvent (surtout lors des débuts du groupe il y a deux ans en fait, mais on y reviendra). Dans le nom du projet, bien sûr, pas franchement là pour réchauffer les esprits. Dans la bio d’origine du groupe, que l’on jurerait rédigée par l’un des poètes punk lorrains émanant de La Grande Triple Alliance de l’Est, Noir Boy George par exemple (« Grand Blanc vient de cet Est froid / Où il a grandi il y avait de grandes cathédrales, à côté de hauts fourneaux »). À l’intérieur de leurs morceaux, comme dans « Petites Frappes », qui évoque directement les terrains brumeux de Saint-Symphorien, le stade du FC Metz. Sur la pochette de leur premier EP éponyme, aussi, œuvre du tatoueur lyonnais Vincent Denis (responsable du salon All Cats Are Grey et musicien dans le groupe de post-punk Israel Regardie), qui dépeint une vision personnalisée et fantasmée de la ville qui a vu grandir les trois quarts des membres du quatuor :

« On voulait que ce décor de notre ville d’origine figure sur la pochette mais on voulait aussi styliser et distancier le truc. Du coup, on a tous compilé des bâtiments ou des objets qui représentaient Metz à nos yeux et on a demandé à Vincent Denis d’assembler tous ces items pour reformer une ville en gravure. Quand on a vu le résultat, on était tous très heureux et on s’est dit que ça ressemblait à notre ville mythique, même si la vraie Metz est très différente. »

Grand Blanc x Vincent Denis - Grand Blanc

Artworkers tatoueurs

Pour les besoins du single Montparnasse, et malgré la franche réussite du premier travail avec Vincent Denis, le groupe a décidé de changer d’illustrateur, faisant appel cette fois au tatoueur Peter Heinrisch: un changement non pas motivé par un quelconque désir d’associer chacun des visuels à un tatoueur différent (« c’est un peu un hasard ») mais plutôt à celui d’obtenir un regard nouveau sur le groupe. Ce visuel, en s’écartant désormais des obsessions messines (« Montparnasse », bien sûr, on pense plutôt à Paris), pousse plus loin encore la sensation d’intemporalité déjà ressentie sur Grand Blanc, et suggère également la volonté d’une tentative dadaïste. Benoît David, chanteur et guitariste du groupe :

« Même si on ne l’a pas formulé comme ça, c’est vrai que l’on s’intéresse de plus en plus à des auteurs comme Desnos ou Char ou aux théories foireuses mais fascinantes de Breton sur la création, la vie et les rapports qu’elles entretiennent. Le point commun de tous ces gens (qui n’ont pas mis longtemps à se foutre sur la gueule d’ailleurs), c’est une attention immense à l’objet et à la matière et dans la langue, au mot. Dans nos textes, on n’essaye pas de raconter quoi que ce soit, on essaye d’exposer notre paysage langagier quotidien, de voir autrement le banal ou le sombre qui deviennent d’un coup surprenants et lumineux. Pour la pochette du deuxième disque, on voulait quelque chose de similaire : faire rentrer le quotidien et des objets triviaux dans un truc abstrait et symbolique. Peter Heinrich a juste parfaitement compris ce qu’on voulait et à ma connaissance il s’est bien fait plaisir pour créer ces pièces quotidiennes. Et nous on est refaits ! »

Échecs & fantasmes

Et le choix du jeu d’échecs aux pions modifiés, d’où vient-il ? « D’un ensemble de raisons floues. ‘Montparnasse’ est un morceau qui parle de deuil et surtout de la mort comme faisant partie du cours des choses. ‘Nord’ essaye de rétablir un ordre dans un paysage urbain trop dense et vaste. Du coup l’idée centrale de ce petit disque, c’était celle d’un ordre qui dépasse, d’une fatalité. Et depuis des siècles, le jeu d’échecs représente ça dans notre culture. C’est pas très original mais parfois les symboles traditionnels sont les meilleurs. Bon c’était le moment où on aurait pu se révéler champions d’échecs, désolé : le moindre gamin de cinq ans qui joue de temps à autre avec son grand-père pourrait mettre une branlée à tout le groupe réuni… par contre on le prend quand il veut au bras de fer. »

Outre une référence à la saga Harry Potter et au jeu d’échecs géant du premier épisode (on nous l’assure : les fans sont nombreux dans le groupe !), on peut aussi ici voir un écho aux problématiques sociales que Grand Blanc met parfois en avant dans ses textes. La hiérarchie sociale comme un plateau de jeu d’échecs. D’un point de vue extérieur du moins :

« On nous parle assez régulièrement des problématiques sociales chez Grand Blanc. En fait, elles ne sont pas très conscientes… Ce qui est sûr c’est qu’il n’y a pas de politique dans Grand Blanc. Si on parle de hiérarchie sociale c’est surtout du point de vue de l’individu, on se pose la question de savoir comment être dans un monde compliqué. Mais nos réponses ne sont pas du côté de la critique sociétale ou de la revendication. On pense plutôt que c’est en travaillant sur la conscience de soi et des autres qu’on a des chances de moins se perdre. Désolé pour le gros mot mais ça pourrait ressembler à une recherche éthique. En fait si tu te concentres sur les idées qui dépassent l’existence individuelle tu deviens plus conscient, moins stérile et moins con. C’est pour ça qu’on a des textes assez noirs, on ne parle pas de mort ou d’angoisse pour s’arrêter là, on essaye d’être plus au clair avec ça pour mieux voir la vie. C’est plutôt ça que le jeu d’échecs exprime : il y a un ordre qui nous dépasse, et le savoir permet de mieux voir l’essentiel. »

Le son

Grand Blanc retape son excellent et ordinairement tragique « Montparnasse », que l’on connaissait moins ample et moins habité, et livre un double single (la face B est occupée par le très inquiet « Nord ») qui annonce un album, son premier, à paraître en début d’année prochaine chez le label francophile Entreprise.

Grand Blanc (Facebook, Twitter, BandCamp, SoundCloudYouTube)

Peter Heinrisch (Facebook)

Grand Blanc, Montparnasse, 2015, Entreprise, 8 min., pochette par Peter Heinrisch