Da Silva x Elzo Durt – L’Aventure


La poitrine généreuse et dénudée, la peau blanche et les lèvres pleines, une femme recouvre sa silhouette d’un voile léger, comme pour demeurer encore dans le mystère que les ombres, dans les environs, suggéraient déjà. Autour d’elle : de petits papillons bleus, dont les ailes qui se déploient par dizaines paraissent vouloir rivaliser avec celles, plus grandes, de ces oiseaux dont on aperçoit les contours, en arrière-plan. Derrière elle, la ville, ses buildings immenses, et la Tour Eiffel, déplacée du Champs-de-Mars au bord d’une falaise, paysage urbain offrant un joli contraste avec la verdure fleurie jonchant le sol de cette grotte, où la femme paraît être camouflée…

Les Femmes

Sensuelle et dangereuse, intime et hermétique, urbaine et bucolique, la pochette du nouvel album de Da Silva, signé par l’artiste belge Elzo Durt (Le Prince Harry, Francis Bebey, Kaviar Special, Cheveu, 1 000 autres trucs), place l’image de la femme au centre du propos. Et même LES femmes, puisque celle que l’on constate immédiatement au premier plan se trouve accompagnée par une autre, moins évidente, celle formant le contour de ce que l’on croit être une grotte, mais qui pourrait bien être l’entrée vers une réalité alternative. Ici, tout est possible.

Alors, forcément, pour ceux qui auraient ne serait-ce qu’une toute petite idée de ce qu’est l’oeuvre graphique d’Elzo Durt, il y a le visuel lié à une autre femme, tout aussi dénudée, qui apparaît à l’esprit : celle qui trônait, sans pupilles mais avec un regard tout de même transcendant, dans l’univers vénéneux et transcendé de Psycho Tropical Berlin, le premier album, justement, d’un groupe initialement composé de garçons, qui avaient décidé de se faire appeler La Femme. Ici, comme chez Da Silva, la même ambiance du mystère qui paraît vouloir s’exposer et se taire, le vert qui cohabite avec le rouge, et les papillons qui circulent dans les airs.

La Femme x Elzo Durt – Psycho Tropical Berlin

L’Aventure de Da Silva, qui renouvelle ici totalement son iconographie jusque-là purement photographique et centrée sur la portraitisation de lui-même, serait-elle ainsi, puisque les connivences visuelles sont frappantes, une certaine forme de suite au Psycho Tropical Berlin de La Femme, sorti en 2013 ? Da Silva : « Absolument pas, je trouve que La Femme est un groupe horrible, d’ailleurs je ne peux pas écouter une mesure de cette musique, puis sur scène cela me fait penser à Marcel et son Orchestre. Absolument tout ce que je déteste. J’avais juste envie d’une illustration qui puisse raconter l’histoire de mon album et aussi mes chansons. » Voilà qui a le mérite d’être clair. La présence des papillons, par exemple, doit sans doute être lue comme une référence au tatouage de Da Silva, qui en porte un sur sa main.

Da Silva – La Tendresse des fous (2009)

« C’était simple »

« Rien ne semble étranger, j’écoute tellement de musique, j’adore la photo et l’illustration, enfin je déteste le total look chez les artistes. C’est ce qui me déprime le plus je crois. Je connaissais le travail d’Elzo, mais je ne le connaissais pas personnellement. Je lui ai envoyé un mail, je suis allé chez lui, c’était simple. »

Elzo, de son côté, confirme, avec cette collaboration, ne pas être seulement focalisé cold-wave, musique techno et punk loubard (c’est globalement les étiquettes que l’ont pourraient mettre aux artistes signés sur Teenage Menopause, le label qu’il a fondé avec Froots), et après Stephane Eicher (et La Femme à un degré moindre), replonge le pif dans la chanson française tendance pop, avec cette collaboration qui marque, une fois encore, la patte visuelle époustouflante de cet hérétique tellement peu enclin à accepter la représentation ordinaire des choses qu’il dût en construire de nouvelles.

Le son

« Je n’avais pas fait le parallèle. Mais, comme McEnroe, je suis un affranchi », dit Da Silva lorsqu’il se trouve l’interrogé par Le Parisien sur cette chanson évoquant le sulfureux joueur de tennis américain, meilleur ennemi du Suédois Björn Borg dans les années 80. Affranchi, parce que Da Silva est aussi bien capable de composer pour Soprano ou Jennifer, de signer sur un label (celui de [PIAS]) qui sort aussi bien les disques d’Alain Chamfort que de Le Noiseur, ou de de s’associer, on l’a vu, avec la crème du graphisme underground francophone. Le grand écart permanent, et le Daniel Darc des années 2000 qui parle d’amours, déçus et vivaces, sur ce nouveau disque qui place la pop orchestrale tout en haut, et y demeure. L’Aventure, la véritable.

Da Silva (Site officiel / Facebook / Twitter / YouTube / Instagram)

Elzo Durt (Site officiel / Facebook / Mixcloud)

Da Silva, L’Aventure, 2017, [PIAS] Le Label, 36 min., artwork par Elzo Durt