Kaviar Special x Elzo Durt – #2
Elzo Durt est sans doute l’un des « créateurs de pochettes » les plus identifiables de la scène francophone actuelle. Et peut-être même bien au-delà. Assimilé aux plus singulières sorties Bord Bad (Frustration, Cheveu, La Femme, Francis Bebey…) et à d’autres (Le Prince Harry, Kaviar Special désormais…), la patte de cet acteur central du graphisme underground belge se constate en un coup d’oeil, le temps de poser le regard sur ces couleurs souvent sanguinolentes et passionnelles, ces figures bibliques décharnées, ces préceptes pervertis, ces êtres envisagés sous un jour nouveau, ces travaux numériques édifiés comme de véritables vitraux des temps nouveaux. Lorsque la tradition se retrouve broyée dans la modernisation d’un esprit qui se plaît à déconstruire ce que d’autres ont pris le soin de bâtir avant lui.
Silhouettes bleues
Cette pochette-ci, celle qui illustre le second album de Kaviar Special (II, Howlin Banana Records / Beast Records), ne fait pas exception. Mais fait appel à des figures que le graphiste belge, prophète en son pays et bien au-delà (entre 100 expositions, il a notamment présenté il y a deux ans la très hérétique Deus ex Machina, Galerie Red Bull Space), n’avait encore jamais utilisé. Nouvelles icônes qui ont pris le soin d’étudier les précédentes (on peut notamment penser à la déesse égyptienne Bastet et à son visage de chatte en mirant, à droite du visuel, ce personnage aux seins pointus et aux yeux multipliés par trois). Elzo, joint par mail :
« J’avais plus ou moins carte blanche pour réaliser la pochette. Ils voulaient un truc psyché, assez coloré. À ce moment-là je venais de chopper des nouvelles BD (Moebius, Virgil Finlay, Caza…) avec lesquelles j’avais envie de bosser…. Je me suis lancé. Je voulais faire un environnement dégoulinant coloré… il n’y a pas une histoire précise, ce qui m’intéressait avant tout, c’était de faire une pochette que l’on remarquerait au premier coup d’œil et que l’on retiendrait tout de suite… Qu’elle soit attirante, qu’elle donne envie de découvrir le disque. »
L’esthétisme avant tout
La place au sensoriel et à l’esthétisme joli. Au geste spontané plus qu’à la démarche intellectualisée. Mais quand même, représente-t-elle quelque chose de particulier, cette pochette-là, sur laquelle figurent ces deux êtres bleus, bizarres et inédits (a priori, il y a un mâle et une femelle) tenus dans une main ouverte aux ongles vernis de rouge ?
« Ce qu’elle représente est assez simple, c’est une main humaine qui tient une boule avec deux personnages venus de nulle part… tout ça dans un décor hostile mais coloré. Et ces deux personnages ne représentent même pas nécessairement une référence au nom de l’album : quand j’ai terminé la pochette, ils ne savaient pas encore comment ils allaient l’appeler ! »
Le son
Plus énervé que Kaviar Special (et carrément punk sur « I Wouldnt’ Touch You With A Stick »), leur premier album éponyme (on notait déjà la passion du groupe pour les titres très originaux…), les Rennais se positionnent avec #2 (un titre paradoxal lorsque l’on sait que le groupe n’a pas de compte Twitter…) dans la plus pure tradition de ce garage psychédélique, pop dans son genre, qui broie les mélodies dans des tempêtes de fuzz. Un caviar don on se goinfre, et on s’en doutait, davantage dans les chiottes d’une cave que depuis le pont d’un yacht. Lapidaire et jouissif.
Kaviar Special (Bandcamp / Facebook / Soundcloud)
Elzo Durt (Site officiel / Facebook / Mixcloud)
Kaviar Special, #2, 2016, Howlin Banana Records / Beast Records, 38 min., pochette par Elzo Durt