Chromatics x Johnny Jewel — Closer To Grey


Résolument cinématographique, l’identité visuelle de Chromatics, trio originaire de Portland dont les productions oscillent entre synthwave et dream pop, a toujours représenté une part importante de l’imaginaire du groupe.

(dont la brumeuse aura déchaîne autant de questionnements) que de fanatisme), sembleraient presque sortis d’un film d’horreur des années 80 — un de ceux à l’univers nostalgique et paradoxalement intemporel, dont la série Stranger Things tente tant bien que mal de reproduire l’ambiance.

Ce n’est justement pas un hasard si nombre de projets du groupe sont corrélés à des productions audiovisuelles : de l’utilisation millimétrée de « Tick of the Clock » (qui figure sur l’album Night Drive, 2007) en ouverture du film Drive (2011), à l’apparition du groupe à la fin d’un épisode de la dernière saison de Twin Peaks, la musique comme l’image de Chromatics sied parfaitement aux univers surréalistes de réalisateurs comme Nicolas Winding Refn ou David Lynch. Mais lorsque certains des plus grands réalisateurs de leur époque ne les mettent pas en scène, c’est Johnny Jewel, incontestable et prolifique tête pensante de la formation, qui se charge de mettre en images la musique du trio.

Aussi bon designer graphique que musicien, il met en place, en solo comme avec son groupe, des ambiances aux références multiples, complétant ses démarches musicales, dans une esthétique rétro fantasmée. Trop léché pour être vrai, son univers sublime la nostalgie nocturne de ses compositions — comment ne pas penser au travail d’Angelo Badalamenti à l’écoute de « Winswept » ?

Cadavre exquis

En dépit de leur productivité — six maxis au compteur rien que pour 2018, et deux courts albums parus sur trois ans — les membres de Chromatics sont parvenus à se faire discrets depuis la sortie de leur très apprécié Kill For Love en 2012, n’ayant même donné aucun concert entre 2014 et 2019. Le résultat d’une stratégie de publication basée sur l’auto-production, tous les projets du groupe étant parus sur le label fondé par Johnny Jewel, Italians Do It Better.

Si cette discrétion n’a pas empêché le leader de développer une belle carrière solo, l’avenir de Chromatics a, au cours de l’absence scénique du groupe, souvent paru troublé : entretenant depuis 2014 la légende de l’album, devenu simplement fantasmé, Dear Tommy, le trio a fait — et fait encore — languir son public.

Voilà pourtant que le groupe a signé, en ce début de mois d’octobre, son retour « officiel » avec Closer To Grey, nouveau disque paru (presque) sans prévenir. L’occasion, pour Jewel, de prouver qu’il sait rester dans l’air du temps avec un artwork sanglant et rétro, invoquant presque le giallo — genre de film d’horreur italien produit dans les années 70. Une esthétique prisée à l’heure des remakes de Ça ou de Suspiria, comme en témoigne le clip de Weyes Blood paru cette année en accompagnement de son single « Everyday », mettant en scène un groupe d’amis se retrouvant dans une cabane dans les bois, n’attendant que de se faire décimer les uns après les autres dans les règles du slasher les plus élémentaires.

Natalie Mering – Everyday (2019)

Revenons à Chromatics. L’artwork de Closer To Grey met en scène Ruth, la chanteuse du groupe — la presque muse de Jewel, tant elle apparaît sur nombre des visuels de la formation —, au crâne symboliquement fendu et recouverte d’éclats de verre ensanglantés.

Impossible, ici, de ne pas évoquer Suspiria — l’original cette fois —, tant l’idée rappelle l’une des nombreuses scènes meurtrières du film (âmes sensibles, passez votre chemin). Mais le concept fait surtout écho à la démarche de Ghostface Killah, et son diptyque conceptuel Twelve Reasons To Die, véritable hommage aux slashers des années 80, mettant en scène un tueur au masque d’escrime. Enfin, difficile d’oublier le travail de Jewel lui-même sur l’artwork de Running From The Sun, un des albums de Chromatics passé inaperçu (face à l’écrasant Kill For Love) à sa sortie en 2012.

Dario Argento – Suspiria (1977)

Comme pour bien appuyer sur le côté cinématographique de son projet, Jewel a aussi affublé son artwork du sigle de la Motion Picture Association of America, l’institution qui assure la classification des films aux États-Unis. Avec une typo empâtée digne de celle de la saga Nightmare on Elm Street, d’un rouge vif, le producteur prévient — non sans ironie — : l’écoute de Closer To Grey est à réserver à un public averti.

Le son

Avant même la première écoute, Closer To Grey se présentait comme l’album de tous les possibles. Après avoir écumé les rivages d’une synth pop nocturne avec Night Drive, tutoyé le shoegaze sur le très complet Kill For Love, expérimenté à bon escient l’autotune au cours du planant Camera et — peut-être — atteint l’apogée avec le single « Shadow », la direction qu’allait prendre la formation était imprévisible.

Dès les premières notes de la reprise « The Sound Of Silence » qui ouvre le disque, la voix — toujours très mesurée — de Ruth Radelet enveloppe, réconfortante, et s’impose comme le fil rouge de l’album. Une valeur toujours sûre au sein d’un disque aux influences plus variées qu’à l’accoutumée, puisque le groupe y mêle ses expérimentations passées à d’inattendues nouveautés, comme des percussions R&B sur le morceau « Light As A Feather ».

Fort, comme toujours, d’une production très léchée — caractérisée par une gestion particulièrement riche des sonorités synthétiques —, l’album se pose comme une des productions les plus mesurées de la formation.

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Chromatics, Closer To Grey, 2019, Italians Do It Better, artwork par Johnny Jewel, 46 min.