Weyes Blood x Brett Stanley – Titanic Rising


Le retour à la chambre d’enfance est souvent synonyme d’onirisme. Comme un cabinet de curiosités presque figé dans le temps, composé de reliques dérisoires et indispensables (posters, papier peint, tapis, couverture…) qui ont observé les premiers émois de chacun avant d’être comme laissées à l’abandon, la chambre, au même titre que le retour chez la famille, est une expérience forte, sensorielle et sentimentale.

Pas étonnant, donc, de voir que le thème, au vu de sa puissance évocatrice, soit une récurrente dans l’art. Au cinéma déjà, l’onirisme et la mélancolie caractérisent l’ambiance de nombre de films, comme le Virgin Suicides de Sofia Coppola — dont la photographie et le travail sur la lumière rappellent de manière troublante l’artwork de Weyes Blood —, quand le thème n’est pas transversal à la filmographie de metteurs en scène comme Xavier Dolan. Une scène de son Juste la fin du monde, où le personnage de Louis aperçoit, par une porte entrouverte, son ancienne chambre, touchant du doigt des souvenirs enfouis, résume presque parfaitement l’expérience.

Alors que les premières paroles de « Genesis », de Grimes, retentissent de manière fantomatique (« My heart, I never be, I never see, I never know »), la pièce est montrée comme une entité mystérieuse, redoutable, à laquelle le personnage devra se confronter. 

En musique, l’idée a donné naissance à un style à part entière : la bedroom (pop) music, mettant à l’honneur des productions souvent lo-fi, éthérées et oniriques, à l’esthétique d’un tumblr adolescent. Visuellement pourtant, la chambre est un thème plus universel, dont s’est par exemple servi Blood Orange en 2016, pour illustrer son merveilleux Freetown Sound

Blood Orange x Deana Lawson – Freetown Sound (2016)

Pour la première fois chez Weyes Blood, l’esthétique rétro, qui caractérise le travail d’artistes qui ont fait de la bedroom pop leur marque de fabrique (comme Yellow Days, Gus Dapperton ou Boy Pablo), est de mise. Après son Front Raw Seat to Earth en 2016, troisième album qui l’a révélée au grand public, la Californienne Natalie Mering revient avec Titanic Rising, un magnifique disque, intemporel et actuel, à l’image des idées que soulève l’atmosphère d’une chambre d’enfance. Pas étonnant, donc, de la retrouvée submergée — littéralement — dans un univers aux multiples références — les siennes — dans lesquelles elle baigne. Dans une interview accordée à Stereogum, la chanteuse explique d’ailleurs qu’une photo de son père se cache dans les posters visibles derrière elle. 

Vagues (d’)émotions

Cette fois, la symbolique est d’autant plus forte que la pièce est remplie d’eau. L’effet renforce la mythologie atmosphérique de la chambre d’enfance, cette impression que rien ne bouge, ou que tout y est ralenti, comme dans les souvenirs. Le titre même de l’album, Titanic Rising, n’est pas anodin : la référence à l’épave, qui trône, figée, depuis 107 ans au fond de l’océan Atlantique est évidente. Mais l’idée d’émergence — pour « rising » — du mythique navire donne toute sa cohérence au titre : c’est la redécouverte d’un bâtiment, dont on connaît pourtant les plans et l’histoire, qui importe. Cette curiosité paradoxale, qui pousse à redécouvrir ce qui est déjà connu de tous, ou simplement de soi, est à l’image de la puissance significative de la chambre.

L’eau, alors, s’impose comme l’élément adéquat pour souligner tout cet univers, à la fois connu de tous et plein de mystères — pour l’océan et les inexplorables fonds marins —, qui cause fascination et effroi. De la même manière, l’immersion apporte une image forte : c’est tout le corps de Natalie Mering qui est plongé dans cette chambre, où tout est ralenti et flottant. 

De la même manière que la chambre, l’élément aquatique trouve aussi sa place dans l’histoire de l’artwork. C’est évidemment Nirvana, et l’intemporelle image du nourrisson qui illustre l’album Nevermind, traçant un parallèle entre les prédispositions de l’humain pour la nage, mais aussi pour l’avidité — ou du moins l’aliénation à l’argent. Les Chemical Brothers se sont aussi servis de l’idée, pour leur album Further en 2010, tout comme Suede en 2016, avec Night Thoughts. Plus proche de l’imaginaire de Weyes Blood, Hozier a mis en images son album Wasteland, Baby!, avec un procédé très similaire en mars dernier.

À l’inverse du chanteur irlandais pourtant — à qui elle a d’ailleurs dédié un tweet —, qui s’affiche en peinture, les objets flottants autour de lui, Weyes Blood a tenu à mettre en scène cette chambre, aux easter eggs nombreux, créant une fausse pièce dans une piscine. L’opération, menée par le photographe spécialisé dans les prises de vues sous-marines Brett Stanley, dispose de son making of, publié par Stereogum sur YouTube.

Le Son 

Autant dire que le tout est convaincant. Visuellement, et de manière très simple, Weyes Blood convoque un imaginaire très riche pour illustrer un album sublime. À l’écoute, pas de dépaysement : en ouverture, dans la très belle « A Lot’s Gonna Change », elle chante « If I could go back to a time before now / Before I ever fell down / Go back to a time when I was juste a girl / When I had the whole world / Gently wrapped around me / And no good thing could be taken away / If I still believe that hearts don’t lie / You’re gonna be just fine / But, babe / A lot’s gonna change / In your lifetime / Try to leave it all behind ». Tout est dit, le ton est donné, il n’y a plus qu’à se laisser porter. 

Weyes Blood (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram)

Brett Stanley (Site officiel)

Weyes Blood, Titanic Rising, 2019, Sub Pop, artwork by Brett Stanley