Johnny Jewel – Digital Rain


On avait jusqu’alors, dans les travaux visuels de Johnny Jewel, producteur, multi-instrumentiste et designer graphic de talent, demeuré bloqué au coeur de ces années 80 dont il revitalise l’esthétique depuis vingt ans via les nombreux projets qu’il a fondé, tous hébergés sur son excellent label Italians Do It Better (Chromatics, Glass Candy, Symmetry, DesireTwisted Wires), surtout trouvé des femmes, figures bien souvent très érotisées, les lèvres rougies (ou rosées), postées dans des positions évocatrices d’une certaine forme d’innocence, ou du moins, d’une jeunesse pas encore totalement fanée, quoique toujours profondément mélancolique.

Charme froid…

Fortement inspiré, visuellement parlant, par le pop-art de Roy Lichtenstein et par ses « comics » picturaux, lui qui puisait déjà largement dans la culture bédéiste afin de trouver le socle de ses oeuvres devenues les plus populaires (les deux séries Girls’ Romances et Secret Hearts), le Texan les dessine toujours pleines de charmes véritables, ces femmes qui illustrent ses disques, héroïnes fantasmagoriques de bande dessinées dont il compose aussi, bien sûr, les bandes sonores. Et ce charme-là, malgré la candeur évidente de certaines d’entre elles, est paradoxalement associé à une certaine forme de distance, de sévérité, devenues lointaines, peut-être, parce qu’elles possédaient justement un charme trop grand pour que l’on puisse immédiatement songer pouvoir les posséder.

Glass Candy x Johnny Jewel – B:E:A:T:B:O:X

Et glace séduisante

Sur Digital Rain, le nouvel album de Johnny Jewel (en solo, ici, pour la troisième fois), on ne trouve plus de ces femmes belles mais illusoires qu’on trouvait hier, en nombre. Car il ne s’agit plus de raconter de romances sans amour, de coeurs brisés, ou d’âmes pas encore totalement esseulées. Digital Rain est effet un album concept, narrant, sans voix ni instruments acoustiques (seules des nappes de synthés, et quelques bourrasques électroniques, circulent ça et là), l’histoire d’intempéries, non pas sentimentales cette fois, mais bien météorologiques. Un album concept, on le disait.

La pluie, ainsi, tombe sans cesse et par nuées, sur cet étonnant disque de Jewel. Et comme cette pluie est rendue possible par l’utilisation de synthétiseurs bien froids, celle-ci est devenue glace. Et a formé ce glaçon, monumental et compact, qui a fini par illustrer ce disque effectivement glacial, même si, et voilà une nouvelle singularité pour le brillant producteur américain, rien n’évoque ici une quelconque catastrophe. La pluie digitale de Johnny Jewel, bien loin d’un Jeff Nichols (Take Shelter), ou pire, d’un Roland Emmerich (2012), évoque avant tout la beauté, et la grâce, celle d’une pluie fine, épaisse, ruisselante, qui s’échappe du ciel afin de venir offrir à la terre sa douceur rafraîchissante. Comme ce visuel, absolument séduisant, malgré ce qu’il peut évoquer au premier abord, rendu comme tel grâce au talent de l’un des producteurs les plus différents de sa génération.

Le son

Sur ce troisième album de Johnny Jewel, des nappes de synthés, à n’en plus finir, sans que cela menace qui que ce soit. Quelques averses, parfois, comme sur « The Windscreen », et un disque d’une délicatesse et d’une sensibilité d’autant plus impressionnante qu’elle s’avère formulée, cette fois, sans paroles. Plus que jamais, cet alternatif à contre-courant de tout s’affirme comme l’un des plus brillants joyaux du continent américain.

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Johnny Jewel, Digital Rain, Italians Do It Better, 2018, artwork par Johnny Jewel