Alexandre Chatelard x Akatre – Elle Était Une Fois


Alexandre Chatelard x Akatre - Elle Était Une Fois

Chez Haneke, confronté par le biais de son magistral Amour, à l’analyse du sentiment le plus insondable qui soit, l’amour se manifeste à son apogée par l’acte « d’offrir » la mort à l’autre, ou en l’occurence, à l’offrir à celle (Emmanuelle Riva) qui n’est plus en capacité psychique et physique de se souvenir de quoi que ce soit de constructif. Drame universel et geste libérateur.

L’amour véritable

Chez Alexandre Chatelard, qui fait paraître son premier album chez Ekler’o’shock, l’amour, sujet central du disque, est aussi synonyme de sacrifice. Moins radical tout de même, et plus léger. Car l’amour, ici, passe en effet par l’organisation d’un bain de pied (avec huiles essentielles réparatrices) afin de faire en sorte que l’être aimé aille mieux. Croisé à Saint-Sulpice, il raconte :

« J’étais assez souffrant à une époque. Et il y avait cette fille qui s’occupait gentiment de moi pour que j’aille mieux. Elle m’avait proposé un bain de pieds. Que j’ai accepté. Je me suis alors dit ‘ça c’est de l’amour, ça c’est beau’. J’ai noté l’idée et puisque je voulais que la pochette représente un acte d’amour élémentaire, je me suis dit que l’idée valait la peine d’être utilisée. On m’a ensuite reproché d’être dans une posture un peu dominatrice sur ce visuel, d’être macho. Mais ce n’est pas du tout le sens qu’il faut voir ici. Je crois que ces considérations de dominé-dominant n’existent plus dans un véritable acte d’amour ».

Une fois le sujet définitivement posé, Chatelard songe, référence obligatoire dès lors que l’on pense « baignoire » en peinture (preuve en est : ça arrive), à Jacques-Louis David et à cette célèbre Mort de Marat, hommage du peintre néoclassique au camarade montagnard assassiné dans son bain (qu’il ne quittait plus par nécessité curative) par la Girondine Charlotte Corday en pleine période de Convention révolutionnaire (13 juillet 1793). Il fait ensuite appel au très élégant studio Akatre (déjà croisé chez Aaron, chez Lafayette ou chez Benjamin Clementine) pour se charger du visuel. « Pour eux c’était un nouveau challenge, ce côté classique et quasiment pictural, ils n’y sont pas trop habitués ».

Jacques Louis David - La Mort de Marat

Jacques Louis David – La Mort de Marat

Photographie picturale

Et l’exercice est réussi. Tout comme le clip du « Bureau » (également signé Akatre), qui se balade le long de ce visuel (et qui voit les rôles s’inverser dans sa deuxième partie, puisque c’est Alexandre qui finit par masser les pieds de sa muse féminine). Car la photographie, anachroniquement néoclassique (dans la posture du protagoniste du moins, noble comme un empereur romain qui aurait validé sa muse avec une couronne de lauriers), donne la sensation d’un travail pictural (le jeu de lumière est en cela admirable) et offre une filiation amusante avec l’oeuvre du peintre français, dans son iconographie surtout. Car au-delà de la présence, évidente, du bain dans chacune des deux images, on constate que Chatelard comme Marat tiennent dans leurs mains un manuscrit (chez l’assassiné, c’est la lettre de Corday, et chez le vivant, celle de la constellation Cassiopée), et disposent leurs bras d’une manière équivalente. Coïncidences, bien sûr, qui n’en sont pas. De là à considérer cette jeune fille en train de laver les pieds d’Alexandre, comme une Charlotte Corday en puissance ? L’amour répare, et l’amour assassine.

Le son

« Mi-tocard, mi-héros ». Référence à la vie d’artiste, et aussi sans doute à la relation d’Alexandre Chatelard à ces femmes qu’il chante et qu’il magnifie sur ce premier album qui rend hommage à ces filles qui, rassemblées, forment une existence complète (Elle était une fois aurait pu s’appeler Elles étaient une fois), ainsi qu’à cette pop variétale comme on pouvait la concevoir dans les années 80 (de Jacno à Darc, de Chamfort à Daho), et qui occasionne la rencontre entre le texte (jouissif), les orchestrations grandiloquentes (un orchestre de corde s’exprime souvent ici), et les mélodies synthétiques, qui oeuvrent autant pour la formule pop (« Lenny Kravitz », « Le Bureau », « Alexandra ») que pour la chanson sous psychotrope (« Reconstitution », « Les Yeux Verts », « Louise XIV »). Rétro, romantique et diablement intelligent.

Alexandre Chatelard (Facebook)

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Alexandre Chatelard, Elle était une fois, 2016, Ekler’o’shock, 44 min. pochette par Akatre