Un corps noir, crispé, sous tension, comme lorsque l’on lutte contre une force plus lourde, plus épaisse, plus grosse. Heavy, comme le répète le nom du disque. Une bouche rosée et les dents blanches qui seules ressortent au sein de cette silhouette qui soufre, qui est attachée quelque part, peut-être bien, et qui se débat de quelque chose. Il y a quoi, hors-cadre ? L’idée du racisme ordinaire qui concerne les communautés racisées d’Écosse, de la terreur qui percute la nuit, qui épine le crâne au point de faire vriller le reste de l’esprit ?

Lutte

Beaucoup de questions autour de ce visuel immédiatement marquant qui accompagne le quatrième album de Youg Fathers, trois gars de Glasgow qui avaient déjà marqué, cinq ans plus tôt, avec le disque Coca Sugar, LP porté par une illustration qui rappelait Francis Bacon et était signé Julia Noni. Le son ? Un hip-hop psychédélique, expérimental, qui copine avec la soul, le folk, le trip hop, les musiques venues d’Afrique de l’Ouest (Karyus Bankole est d’origine nigériane et Alloysius Massaquoi vient du Libéria).

L’étrangeté, déjà, dominait le panorama. Une gueule détraquée hier. Et un corps qui disjoncte aujourd’hui. S’agit-il du même mec, de la même entité qui, à chaque sortie, déraille toujours un peu plus ? La tête. Puis on dézoome. Voilà sa silhouette ?

Cette fois, c’est le Londonien Jordan Hemingway qui s’y colle (son travail, gothique lorsqu’il n’est pas réservé à la publicité ou à la mode, dégouline de la même étrangeté inquiète, névrosée, effrayante), et qui propose cet artwork dont le protagoniste, parce que terrorisé, paraît terrorisant. Un souffle d’angoisse pour un groupe qui assume la gérer, et éructer ses malaises, au travers de sa musique. 

Démon

“Vous laissez les démons sortir et vous vous en occupez”, dit le rappeur Kayus Bankole à propos des ambitions et de la genèse de ce nouveau disque. “Donnez-lui un sens après”, ce qu’écrivent, en général, ceux qui veulent brouiller les pistes, qui ont avancé sans carte, sans boussole, sans smartphone géolocalisé. En attendant, avec cette créature prométhéenne et frankensteinienne de Jordan Hemingway, on soufre.

Young Fathers (Site officiel / Facebook / Instagram / Twitter / YouTube)

Jordan Hemingway (Site officiel / Instagram)

Young Fathers, Heavy Heavy, 2023, Ninja Tune, 33 min., Hingston Studio (graphisme) et Jordan Hemingway (photo).