UZHUR x Marie Quéau – s/t
Un feu imposant s’est déclaré. Il a surgi de nulle part, au milieu de cet espace désormais monopolisé par une fumée qui pourrait tout aussi bien être la vapeur d’une eau contraire à la nature de ces flammes qui grandissent en arrière-plan. Il y a la sensation du ciel dans lequel le feu serait, comme par enchantement, parvenu. Au moment où, à Paris, à Lyon, Nantes, au Havre et ailleurs, les poubelles brûlent sur les trottoirs lorsque les manifestations contre la réforme des retraites les enflamment sur leur passage, l’image, irrésistiblement, accroche.
Flammes
Ce n’est pourtant pas l’abrasive capitale parisienne et la retraite que l’on réclame à 60 ans qui a été le point de départ d’Uzhur, le projet sonore de deux ingénieurs du son et musiciens – Jean-Charles Bastion et Romain Poirier – lancés dans la conception d’une musique drone, ambiant, noise, “assemblage singulier de basse en larsen, de synthétiseurs amplifiés, de rythmiques sans tempo et de mantras au vocoder”.
Le duo, plutôt et parce qu’il faut bien se nommer pour que l’on vous différencie des autres, emprunte son nom à une ville russe perdue aux confins de l’immense territoire eurasiatique, dont les quelques photos récoltées au hasard de vagabondages sur le web n’évoquent qu’un horizon lointain, où les humains seraient quasiment absents et où l’étendue du vide laisse la place aux créations fantasmagoriques les plus évanescentes. Pour un projet majoritairement improvisé en studio, c’est parfait.
“Arriver à cette pochette a été un long périple” de “plus d’un an” admettent Jean-Charles et Romain, qui ont fait paraître ce disque sur le label Nahal Recordings, fondé par le producteur Paul Régimbeau (Mondkopf, Extreme Precautions, Autrenoir, FOUDRE!) et par le multi-instrumentiste et photographe Frédéric D. Oberland (Oiseaux-Tempête, Le Réveil des Tropiques, FOUDRE!, The Rustle Of The Stars), label d’où on avait déjà vu émerger le projet FOUDRE! ou celui de Renaud Bajeux, tous deux très expérimentaux. Un label qui a tenu à ce que le visuel de s/t, (pour “self titled”), le curieux nom de ce premier album, “ait un côté manifeste”, qu’il “sorte visuellement du lot (…) Avoir une image frappante, qui donne envie de prendre le disque en main et d’écouter la musique”. Sortir un premier album accompagné par un visuel fort afin de retenir immédiatement l’attention ? Facile à dire. Reste à le faire.
Des pistes apparaissent, puis s’éloignent, finissent par disparaître totalement. D’autres interviennent. Même schéma. “On est conscient que toute l’imagerie va beaucoup conditionner l’écoute. C’est d’autant plus dur de s’arrêter sur une seule image !” Un an de recherches, on l’a dit. Des demandes qui s’affinent. Pas de noir et blanc, finalement, palettes trop évidentes lorsque l’on veut illustrer ce genre de musique extrême. Dans sa musique, Uzhur évoque des thématiques “liées aux désastres écologiques, à la beauté paradoxale qu’on peut trouver dans ce qui périclite. On espérait trouver une image qui puisse évoquer cela.” Ne pas se contenter de “la brutalité de la musique”. Mais “raconter aussi sa poésie”. Favoriser une image colorée.
Et puis, une évidence. Celui du travail de la photographe Marie Quéau, diplômée de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles en 2009, et dont les photos “se construisent autour d’un univers étrange et atemporel (…) inspirées par l’imaginaire collectif et la science-fiction”.
Connexion
Dans ce travail, Uzhul voit rapidement des passerelles solides avec le sien, qu’il s’agisse de “son intérêt pour les textures, les matières brutes et l’imagerie assez sombre que l’on retrouve dans le travail de Marie” ou de ces “ponts indescriptibles de synesthésies” qui raccrochent un univers à un autre, sans que l’on sache vraiment pour quelle raison.
Marie Quéau : “J’ai écouté UZHUR et ai instinctivement dit oui. J’ai aimé les textures et l’énergie sourde déployée. Et en effet, je voyais un lien entre mes images et leur album. J’ai pensé à ma série Odds and Ends, car ces images sont l’expression d’un monde à bout de souffle, mais toujours en vie. Il y a des phénomènes, les quatre éléments et des restes industriels. Sorte de paysage où se déploie l’album.”
L’une des images de la série est donc recadrée pour les besoins de la pochette, une photo “prise dans un lieu d’entrainement pour pompiers”, un lieu où, complaisants, “les locaux leur permettent de déclencher des brasiers contrôlés afin qu’ils puissent s’entraîner”.
Le verso de l’album est également issu de l’œuvre photographie de Marie Quéau. Il est cette fois tiré “d’une série réalisée durant la bénédiction des chevaux et de la ville, à San Bartolomé en Espagne, la veille de la Saint-Antoine. Les braises mêlées aux racines proposent un versant aux flammes dangereuses de la couverture.”
Les flammes à l’avant, les braises à l’arrière. Quel sens donner à l’ensemble de cette mise en scène, à l’heure où les dés sont jetés et où cet album est sur le point de sortir ? Uzhur, pour conclure : “Je crois que chacun peut donner le sens qu’il veut à l’image, on aime cet aspect ouvert. Que ce soit une métaphore du buisson ardent, le feu des enfers, ou juste une belle abstraction colorée…. ” Il y aura, quoi qu’il en soit, la persistance de cette flamme. Cette flamme qui hypnotise dès qu’on la regarde trop longtemps, de même que captive cette musique drone, ambiant, faites de boucles et de larsens, qui sonne comme un monde sur le point de se retrouver calciné par les feux qu’il aura lui-même lancés. Advienne que pourra.
Marie Quéau (Site officiel / Instagram)
UZHUR, s/t, 2023, Nahal Recordings, 33 min., pochette de Marie Quéau (photo)