slowthai – TYRON


XIVe siècle, vallées d’Uri, de Schwyz, d’Unterwald, en Suisse actuelle. Le bailli Herman Gessler, représentant du Saint-Empire romain germanique dans la région, condamne l’insoumis Guillaume Tell pour ne pas avoir salué un chapeau qu’il était censé saluer sur son passage. Sa sanction ? Prouver que son statut de meilleur arbalétrier de la région n’est pas usurpé, et toucher la pomme qui, à 100 mètres de là où on l’oblige à tirer, est placé sur la tête de son propre fils. L’échec, pour Guillaume Tell, est assuré.
Guillaume Tell

Tell l’insoumis

Mais Tell ne flanche pas, perce la pomme plutôt que les yeux de son fils, et finira même plus tard, en guise de vengeance, par percer également le bailli Herman Gessler, acte que beaucoup associeront, car les légendes nationalistes ont parfois la peau plus dure encore que les fables moralisatrices, à la constitution de la Confédération suisse, et donc à l’idée même d’une nation suisse, indépendante et unie. En Suisse, Guillaume Tell est une légende, et en dehors des frontières du pays helvète aussi.
Une pochette d’un disque grime, drill, trap. Rien n’est inscrit dessus, il n’y a que l’image d’un arbre dont une pomme vient de tomber, puisque la pomme, et comme le dit le dicton, « ne tombe jamais loin du pommier« … L’arbre, la pomme… et slowthai dans le rôle de celui dont on cale le corps contre un arbre avec un fruit rouge sur la tête. Sauf que l’arbalétrier, cette fois, n’avait rien du talent de Guillaume Tell puisque le rappeur de Northampton, dont TYRON est le second album (le premier, Nothing great about Great Britain, était sorti en 2019), se retrouve avec une flèche coincée, non pas dans le cœur de la pomme, mais dans le cœur de sa rétine.
Une reconstitution de la légende qui en dit long sur le rapport de slowthai à ses contemporains, et dans la confiance qu’il accorde à ceux qui l’ont tellement malmené plus jeune (son élocution lente et pataude était moquée lorsqu’il était petit) et plus récemment, succès oblige, et notamment sur le réseau social Twitter, dont l’oiseau bleu est perché au sein de cet arbre plein de pommes qui ne demandent qu’à tomber sur le rappeur sans vie.
TYRON (le prénom de slowthai, qui se nomme donc dans la vraie vie Tyron Kaymone Frampton) est un disque qui raille une nouvelle fois la petitesse d’esprit de ses contemporains britanniques – le garçon est du genre à se trimballer avec une tête de Boris Johnson en papier mâché sous le bras, alors rien d’étonnant -, et qui se plonge, dans le même temps, sur la face sombre de son propre lui-même. À l’image du Joker façon Todd Philipps / Joaquin Phoenix, slowthai rappelle que derrière les sourires (et le sien, notamment), il y a des névroses qui traînent, et qui ne demandent qu’à s’extraite. “What’s a rapper without jewellery? A real person, surely”.
https://www.youtube.com/watch?v=QBbxFeSTJ2Y
Et la pochette ne dit pas autre chose. Elle dit, et malgré les nombreux featurings du disque (James Blake, Skepta, ASAP Rocky, Mount Kimbie, Denzel Curry…) la solitude existentielle d’un garçon qui avait songé, dans un premier temps, proposer une pochette semblable à celle du Klub des Loosers pour Vive la vie, avec la corde qui pend au sommet de l’arbre et qui suggère l’acte de pendaison.
Klub des loosers - Vive la vie (2004)
Klub des loosers – Vive la vie (2004)
En se représentant au pied d’un arbre et l’œil percé par une flèche meurtrière, slowthai va plus loin encore, et plus loin aussi que la pochette de son premier album qui le représentait, cette fois, au pilori d’une cité qui évoquait celle dans laquelle il a grandi, à Northampton, au sein d’une Angleterre dont il se fait plus que jamais le représentant de ces pommes pourries qui aurait tendance, selon un discours là encore bien connu, à gâter le reste du tonneau…
https://www.youtube.com/watch?v=7bDtD6bowww
Slowthai (Site officiel / YouTubeFacebook / Twitter / Instagram) slowthai, TYRON, 2021, Method Records, 36 min.