Shopping – The Official Body


Contrasté – la fête suggérée par ce dance-punk minimaliste, et la désolation suggérée par les paroles d’un disque parfois grave -, l’Official Body de Shopping (post-punk, jamais « officiellement » politique, étiré entre London et Glasgow) l’est également par son visuel, photographie d’une piscine cadrée autour d’un crocodile gonflable (utile pour les jeunes enfants, et pour tous ceux qui le sont restés), tout de vert vêtu. Un crocodile, ou peut-être plutôt un alligator. Peu importe. Car ce qui est digne d’intérêt ici, ce n’est pas tellement la vision de cet animal gonflable sans doute très confortable, mais plutôt son ombre, forcément foncée, projetée dans l’eau bleue calcaire d’une piscine dont on croirait presque deviner, aussi et en bas à droite de l’image, le reflet de celui qui est en train de prendre la photo.

L’ombre au soleil

L’ombre, sur ce visuel-là, occupe en effet une place plus importante que l’animal-bouée, ludique et évocateur d’une joie très enfantine, qui en est sa source. Et il n’y a pas de hasard dans cette hiérarchisation des éléments : pour Shopping, il s’agit ici de souligner la part d’ombre qui se dissimule derrière ce qui, pour l’oeil extérieur, n’est que lumière divertissante. Comme un écho aux tensions internes d’une Rachel Aggs (la chanteur et guitariste du groupe), pour qui la question du genre et des problématiques queer sont, depuis longtemps, un enjeux central, assumé comme étant parfois douloureux ? Dans le tendu « Suddenly Gone », elle chante ainsi « feeling used and undervalued as a queer and/or person of colour making music or art ».

David Hockney – A Bigger Splash

L’importance à accorder aux ombres, alors, plutôt qu’aux lumières ? Un peu comme chez l’Anglais David Hockney, finalement, dont les piscines californiennes, qu’il reproduisit en nombre au coeur des années 70, étaient destinées à montrer, justement, la dualité entre une californian way of live fantasmé et la réalité, ennuyeuse et tristement oisive, que celle-ci impliquait dans les faits ? On a bien évidemment noté qu’il s’agissait également d’une piscine, sur ce visuel de Shopping. Et qu’en terme de culture populaire, on en parlait dernièrement via la pochette de l’Hippopotamus de Sparks, il est difficile de ne pas envisager la référence au peintre né à Bradford mais assimilé à L.A. dès lors que l’on fait l’occurrence d’un espace plein de clore et de reflets ensoleillés. D’autant plus, ici, quand on connaît le rapport d’Hockney à l’homosexualité, lui qui était, de manière frontale et assumée (son oeuvre plastique l’atteste largement), attiré par la beauté des êtres possédant le même sexe que lui.

Le son

Troisième album pour les Anglais de Shopping, toujours menés par la très charismatique Rachel Aggs, et par cette prose qui ne se revendique pas politique, mais qui l’est pourtant assurément. Pour un groupe qui caricature, avec ce nom d’activité d’un week-end bien triste, l’une des plus grandes incarnations du XXIe siècle consumériste, rien d’étonnant à ça. D’autant plus lorsque cela est fait par le biais de la musique punk, et ce même si celle-ci, c’est ce que l’on dit, est avant tout construite pour faire danser ceux qui prennent du temps pour l’écouter.

Shopping (Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram / Youtube / Soundcloud)

Shopping, The Official Body, 2018, Fat Cat Records