Le Réveil des Tropiques x Caza – Big Bang


Systématiquement et depuis quelques années maintenant, dès lors qu’il émerge une nouvelle idée de l’esprit, admirable, du très actif Frédéric D. Oberland (Oiseaux-Tempête, Foudre!, Peregrinus Ubique…), et que celle-ci se concrétise (toutes les idées ne sont pas faites, c’est ainsi, pour s’exposer en public), on ouvre grand les tympans, au moins autant que les pupilles. Et on écoute ce qu’il se créé. Musicien, producteur, photographe, garçon de goût, celui-là sait aussi parfaitement s’entourer, qu’il s’agisse d’entourage musical (ici, sur le « supergroupe » Le Réveil des Tropiques, il y a des membres d’Oiseaux-Tempête, Casse-Gueule, Trésors, One Second Riot, Ulan Bator, Testarossa….) ou bien visuel, comme en attestait hier, déjà, la judicieuse utilisation du travail du photographe turc Yusuf Sevincli, pour les besoins de l’album ÜTOPIYA? Et ici encore, avec ses nombreux complices, le nez a été creux, et la collaboration fructueuse : pour illustrer l’immense bordel, créateur, généré par le Big Bang version Réveil des Tropiques, c’est l’illustrateur, dessinateur, bédéiste Caza qui s’est vu solliciter, et qui a accepté de refiler un visuel généré dans les années 70. Avec Stéphane Pigneul, Oiseaux-Tempête permanent et musicien lui aussi volage (Le Réveil des Tropiques, Sealight, Object…), retour sur la genèse de ce qui libre, illustré par ce visuel qui l’est au moins autant.

Le Réveil des Tropiques : le projet comporte énormément d’acteurs, et on devine qu’il ne dût, en raison de son nombre, pas être aisé à mener. Comment parvient-on, dans ces conditions, à définir une envie précise, et notamment pour le choix d’un visuel, toujours fondamental ?

Stéphane Pigneul : Pour être tout à fait franc, nous avions déjà l’idée de cette pochette depuis un petit moment.

Adrien avait repéré ce dessin de Caza il y a plus de deux ans, juste après l’enregistrement d’un disque qui n’est jamais sorti. Nous étions partis dans une ancienne usine transformée en pépinière artistique et de résidence, le projet 6000, en Normandie. Malheureusement, le résultat n’était pas à la hauteur de nos attentes. Nous avons donc décidé de garder seulement l’idée de l’illustration.

Le Réveil des Tropiques x Stéphane C. – Le Réveil des Tropiques

C’est toujours une longue histoire, le Réveil et les pochettes. Pour le premier album, nous avions la musique de prête, mais nous avons tergiversé presque un an de plus rien que pour trouver un cover digne de ce nom. Cette fois, ça a été l’inverse, le visuel mais pas de musique !

C’est donc après un certain temps que nous sommes allés au Studio Kerwax, en Bretagne, pour enregistrer ce second-troisième opus. L’illustration de Caza a servie de point de départ aux improvisations.

Certains d’entre nous lisent tout ce qui sort sur la vulgarisation scientifique, Trinh Xuan Thuan, Étienne Klein, Hubert Reeves ou encore Neil deGrasse Tyson. Nous recommandons d’ailleurs pour ceux que ça intéresse l’excellent ouvrage de Christophe Galfard.

Nous voulions de l’espace, des comètes, des trous noirs ou blancs, des collisions de particules, des explosions de super novae. Le tout un peu en monochrome. Même si tout cela restait très instinctif, nous avons plongé tête baissée sans plus trop se poser de questions. Au bout du troisième jour d’improvisation, nous avons nous même sauté dans un trou de vers. Le temps s’est mis à se dilater, nous étions en communion avec les éléments primitifs de l’univers comme l’hydrogène ou le lithium ! Nous avons simplement relié notre processus créatif à celui des étoiles, des galaxies, d’où le nom donné à ce nouveau disque : Big Bang !

Comment cette collaboration, visuelle, avec Philippe Cazamauyou, s’est-elle construite ?

Stéphane Pigneul : Adrien a contacté Caza, lui a fait part de notre désir d’utiliser une de ces illustrations. Il nous a répondu assez vite et le tour était joué !

Caza, jusqu’alors, aviez-vous été, déjà, confronté à l’illustration d’un ou de plusieurs disques ?

Caza : Oui, mais c’est assez récent. Alors que mes confrères de Pilote ou Métal Hurlant avaient pas mal produit dans ce domaine depuis longtemps, je n’en avais pas eu l’occasion. C’est seulement depuis 2013 que les pochettes se succèdent, soit des reprises de dessins des années 70, soit des créations originales. Groupes connus ou non, compilations thématiques ou single discret, ça m’est égal : j’aime ça ! Ainsi, on trouve de mes pochettes pour les compilations Cosmic Machine – The Sequel ou La Planète Bleue, ainsi que pour The Datsuns, Elek Traum, Glasgow, Nico’ZZ, Organik. Et deux autres sont prévues dans les mois qui viennent…

Ce travail pour la pochette de Big Bang, elle paraît donc être une illustration, justement, de cette idée de Big Bang. Comment parvient-on à proposer une illustration pour une idée aussi vaste ?

Caza : Là, le cas est amusant, car je n’ai pas vraiment répondu à une demande, ou proposé… C’est un choix du groupe. En effet ce dessin date bel et bien des années 70 : il faisait partie d’une suite de six intitulée Hydrogenèse et parue dans Métal Hurlant puis dans l’album Arkhê. Ce n’était pas une illustration du Big Bang proprement dit, mais une fantaisie personnelle érotico-cosmique évoquant en effet quelque chose comme une genèse astrale. Il faut croire que les amis du Réveil des Tropiques y ont trouvé l’image de leur Big Bang !

Il y a donc la présence de l’humain, au centre de ce Big Bang. Pourquoi a-t-il été intégré, ce corps humain, au sein d’un mouvement (celui du Big Bang) qui le dépasse a priori largement ?

Caza : Symboliquement, pour moi, l’idée de genèse, de création, est conjointe à la naissance humaine, à l’enfantement (un peu comme le dit le tableau de Courbet L’Origine du Monde)… Le Big Bang proprement dit, celui des astrophysiciens (s’il a la moindre réalité autre que conceptuelle), est de toute façon irreprésentable. Il faut symboliser.

Sur ce corps, pas de distinction masculin / féminin, mais une fusion des deux. Pour quelle raison ?

Caza : Pourtant c’est bien un corps féminin que j’ai dessiné ! Mais s’il peut s’interpréter comme hermaphrodite, je dirai « tant mieux » : sans vouloir faire dans l’ésotérisme, je vois l’univers (et l’humain) comme fondamentalement duel : mâle et femelle tout à la fois – ou Yin et Yang.

Le son

« Nous avons simplement relié notre processus créatif à celui des étoiles, des galaxies, d’où le nom donné à ce nouveau disque : Big Bang ! » Sur ce nouvel album du Réveil des Tropiques, qui arrive six ans après un premier album éponyme, le « supergroupe » constitué de membres de Oiseaux-Tempête, Casse-Gueule, Trésors, One Second Riot, Ulan Bator, Testarossa revient aux origines du monde, et en propose sa propre version. Alors ici, tout explose, se repose, se confronte et se perd dans un grand tout, qui pourra aussi se formuler grand rien. La création, finalement, et voilà une réponse apportée, n’est qu’hasard.

Le Réveil des Tropiques (Site officiel / Facebook / Soundcloud)

Le Réveil des Tropiques, Big Bang, 2018, Music Fear Satan / Modulor, illustrations et titres par Caza, graphisme par Bozan-Sarp