Pégase x Romain Leme – Another World


Pégase x Romain Leme - Another World

La pochette du 2nd album de Pégase est en réalité une affiche de film. Celui que la réalisatrice Éléonore Wismes (déjà auteure du clip de « Pan Peter » de Rhum For Pauline, eux aussi signés chez Futur Records) a conçu pour illustrer Another World, via trois clips (ceux de « Be Wild », de « Well Bell » et de « The Black Snow ») que la trame narrative et esthétique générale lie les uns avec les autres.

Affiche de film

Dans cette trilogie visuelle, on y suit le parcours d’une jeune fille (Adèle Wismes) poursuivie par des démons discrets qui n’en sont pas vraiment (Raphaël d’Hervez et Ana Benabdelkarim, qui a rejoint Pégase sur ce 2nd album), et qui après avoir envisagé le saut dans le vide et l’impact avec les rochers meurtriers, termine par s’enfuir de nouveau, sourire aux visages et cheveux dans le vent. Raphaël d’Hervez, croisé gare de Montparnasse, juste avant un train en partance pour sa ville de Nantes :

« Comme je suis un gros fan de cinéma, je me suis dit que ce serait cool de faire une pochette qui fasse un peu « affiche de film », une affiche de cette trilogie donc. J’ai alors demandé à Romain Lemet, qui est dessinateur professionnel, de faire le dessin de cette trilogie, lui qui avait déjà fait la pochette de Brothers of the Sword, l’album de Romantic Warriors, un autre projet de musique expérimentale que j’ai et dont il fait partie aussi. On se connaît depuis qu’on a 14 ans, on a beaucoup voyagé ensemble, c’est facile d’échanger des idées dans ces conditions. Finalement, ce qui est drôle, c’est que c’est une affiche d’un film qui a été faite avant que ne soit tourné le film. Je lui ai envoyé l’histoire qu’avait écrite Éléonore, une photo de l’héroïne des clips, une photo des lieux où on pensait tourner,je lui ai envoyé la musique, et à partir de ça il a fait une pochette ! »

Romantic Warriors x Romain Leme - Brothers of the Sword

Romantic Warriors x Romain Leme – Brothers of the Sword

On retrouve ainsi sur le visuel conçu par Léo Lemet les enjeux et les éléments centraux de la trilogie, du buste d’Adèle (cheveux châtains, yeux verts, bouche pulpeuse) à cette montagne dont elle convoite les hauteurs durant le clip de « Be Wild » en passant par ces eaux, agitées, où l’on a bien cru qu’elle allait basculer au terme du dernier épisode. Tout est logique.

Mais l’intérêt de cette pochette-là ne se résume pas à la seule transcription des ces éléments d’un médium à un autre. Avec un peu d’imagination (et on est autorisé à en avoir avec un projet aussi rêvasseur que celui de Pégase), on pourrait en effet penser que cette 2nd pochette est la continuité de la première, elle qui superposait alors deux photographies (toutes deux prises par Raphaël d’Hervez), l’une représentant les cheveux châtains clairs d’une fille et l’autre un ciel nuageux au sein duquel s’entremêlent l’optimisme du bleu et le pessimisme du gris, deux paysages que l’on retrouve aussi sur le visuel de ce Another World.

Pégase x Raphaël D'Hervez - Pégase

Sauvé par les eaux

Et allons plus loin encore. Pour concevoir cet album et se sortir de « l’engrenage créatif » dans lequel il s’était embourbé (il a conçu en plus du dernier l’équivalent de deux albums jamais utilisés, dont un entièrement en Français), Raphaël est parti s’isoler durant quelques semaines, près de ces rivages qui paraissent donc destinés à venir en aide à tous les romantiques du monde (au XIXe siècle comme au XXIe) lorsque la matière peine à s’extraire dans sa plus juste mesure. Démarche judicieuse : Another World a pu voir le jour. Dans une logique inconsciente, les eaux figurées sur le dessin de Lemet pourraient en ce sens faire référence à ces eaux vers lesquelles il a fallu se tourner lorsque le besoin s’est fait ressentir.

Pégase, Méduse, l’Olympe

Une autre possibilité, sachant la passion du Nantais pour ces figures mythologiques fantasmagoriques dont il a d’ailleurs bien sûr tiré le nom de son projet (Pégase, à la base, c’est le célèbre cheval ailé divin et blanc), serait de voir ici une manière d’évoquer, à sa façon, cette mythologie pré-Antique. La connexion entre la naissance de Pégase, relatée par les anciens auteurs grecs, et ce dessin-là, naissance d’un monde nouveau comme l’indique le titre, peut d’ailleurs paraître troublante. Car dans la mythologie grecque, Pégase, progéniture du Dieu de la mer Poseidon, vient au monde suite à la mort de Méduse, décapitée par le héros Persée (témoignage pictural de cette décapitation via Le Caravage, par exemple). Monté servir Zeus après sa naissance, il rejoint l’Olympe sur laquelle il séjournera aux côtés des plus puissants des Dieux. Extrapolation : avec cette lecture, la fille au regard dangereusement hypnotique serait Méduse, les flots le royaume de Poseidon, la montagne l’Olympe, et les nuages le symbole de Zeus, puisque l’on sait que le Dieu des Dieux avait notamment pour faculté de contrôler les orages, les éclairs et la foudre.

Le Caravage - Méduse

Le Caravage – Méduse

Alors, cette pochette, ça peut aussi être l’histoire de la naissance de Pégase ? « Non » répond catégoriquement Raphaël…avant de se raviser en y ayant songé un peu : « enfin c’est vrai que ça pourrait être ça ! Il m’arrive souvent de trouver des significations à des choses que je fais après-coups de manière générale, alors pourquoi pas ! » Se donner la possibilité de rêvasser, toujours.

Le son

Rêveuse, nostalgique, optimiste, rétro et futuriste, la dream pop éthérée de Pégase poursuit sur ce second album l’exploration du « moi » du Nantais Raphaël d’Hervez, et le fait cette fois-ci avec une seconde voix, celle, féminine, d’Ana Benabdelkarim (ex Des Roses) qui vient apporter une touche plus sensible encore à un univers plus cotonneux que jamais. Un autre monde. Dans la continuité du précédent.


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Pégase, Another World, 2016, Futur Records, 34 min., pochette par Romain Leme