Oiseaux-Tempête x Frédéric D. Oberland – Unworks & Rarities
L’an passé, Oiseaux-Tempête sortait ÜTOPIYA?, carnet de route post-rock et free-jazz d’un voyage effectué sur les rivages de la Sicile et sur ceux de la Turquie par Frédéric D. Oberland et par Stéphane Pigneul (les deux membres permanents d’un projet mouvant), deux ans après avoir effectué pareille investigation sonore du côté de la Grèce, terrain alors naissant d’une crise économique de très grande ampleur dont on allait capter (par la vidéo et par le son) les témoignages les plus concrets (le groupe, pour définir le processus, parle de field recordings, ces instants volés au réel moulés ensuite dans des instrumentations tendues, patientes et post-apocalyptiques).
Coïncidence heureuse, encore
ÜTOPIYA? était alors illustré par cette photographie du Turc Yusuf Sevinçli, représentation de ce bateau fracassé contre des bordures pierreuses qui offrait alors une connexion parfaite entre le titre de l’ouvrage discographique, le nom du projet, et le visuel choisi pour l’illustrer. Attaché à l’idée de création spontanée, plus en tout cas qu’à celle d’intellectualisation pré mâchée, Frédéric et Stéphane, qui étaient tombés sur cette photo un peu par hasard avant d’en faire la pochette de son second album, préféraient alors parler de « coïncidence heureuse ».
Vestiges craquelés
Unworks & Rarities, cette série de B-sides jusqu’alors camouflée d’ÜTOPIYA?, qui porte donc très bien son nom, répond à peu près à la même logique. Car ce visuel craquelé et vieilli – une icône byzantine de Saint-Théodore, peinte à la main sur le mur d’une grotte probablement au XIème siècle, puis érodée par le temps et les civilisations – et tout comme pour le visuel affiché au verso du disque -, Frédéric D. Oberland est tombé dessus par hasard, sur les parois des églises troglodytes de Cappadoce en Turquie, entre la vallée d’Ilhara et Gorême, ex appartenance territoriale du gigantesque Empire Byzantin. Photographiés par ses soins et tirée d’une série excellente, en noir et blanc et au long cours entamée il y a quelques années, qu’il a intitulé Peregrinus Ubique, Frédéric nous explique la raison de ces visuels :
« Ces peintures ont subi les affres du passé : dessinées à même la pierre, d’abord rupestres et iconoclastes (sans représentation de visages ou d’idoles), vénérées puis en partie détruites durant l’invasion des Turcs Seldjoukides. Ces représentations primitives ont ensuite été recouvertes plus richement au XIème siècle et à nouveau endommagés par l’arrivée des Ottomans en Cappadoce. Aujourd’hui ses nouveaux « prédateurs » sont les passants et les touristes qui en prélèvent à la dérobée certaines parties: les visages, yeux, les mains… De la destruction des symboles voués à l’idolâtrie à la « collectionnite » capitaliste, en voilà un intéressant retour n’est-ce pas? Point de désir donc d’une image particulièrement « craquelée » ou « vieillie », mais plutôt un document de ce qu’il reste, les traces des civilisations méditerranéennes qui se succèdent, se chevauchent: grecques, turques, ottomanes, églises d’Orient, islam. L’idée de vestiges et de traces irrigue notre discographie depuis le début et notre quête entamée autour de la méditerranée (Grèce, Turquie, Sicile, prochainement le Liban) ».
Le son
Après Ütopiya, Frédéric D. Oberland, Stéphane Pigneul, Ben Mc Connell et Gareth Davis, accompagnés par Christine Ott, Sylvain Joasson, Jean-Michel Pirès et par G.W. Sok, déclament le cousin proche et éloigné de ce dernier album, compilation d’inédits et de raretés surfant voguant dangereusement sur les mêmes rivages menacés par les méandres fragiles du passé. Free-jazz, post-rock, voltiges inquiètes, anthropologie. Tempête.
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Oiseaux-Tempête, Unworks & Rarities, 2016, Sub Rosa, pochette par Frédéric D. Oberland