Noname x Frank Dorrey — Sundial


Ce qui est vraiment laid, il faut bien le reconnaître, fascine parfois autant que ce qui est vraiment beau. Faire l’unanimité, dans un sens comme dans l’autre ? C’est rare, ça se remarque et fait parler. On se retourne dans la rue ou on laisse traîner plus longtemps le regard car c’est l’instinct, dans ces cas-là, qui commande.

Frank Dorrey en raffole justement, de ce qui est laid, ou de ce qui diffère, en tout cas, du bon goût communément admis. Après s’être payé la face de Steve Lacy il y a un an pour les besoins de son album Gemini, l’artiste du New Jersey, qui fabrique ses images via l’application PicsArt sur son iPhone, accompagne la rappeuse de Chicago Noname pour l’illustration de Sundial (« cadran solaire » en français).

Steve Lacy x Frank Dorrey x Viktor H — Gemini Rights

La pochette de ce troisième album représente ainsi la chanteuse, les traits grossièrement marqués, vieillis par un temps dont on pourrait interroger la relativité (la présence de ce fond noir avec points blancs suggère l’espace, et donc peut-être cette question de la relativité du temps). Les années fanent. Elles enlaidissent, aussi ?

Relativité

Relativité du temps… et relativité de la beauté ? Car si au moment du dévoilement de cette pochette sur les réseaux sociaux, la plupart ont jugé cette cover repoussante et ce choix incompréhensible, d’autres ont rappelé l’idée du subjectif, et présupposé que cette pochette pourrait aussi être, pour Noname, une manière de suggérer qu’au sein d’un monde où les beautés sont ultra-normées, il existe encore de la place pour les rides, pour les cernes, pour les cheveux ébouriffés, pour les lèvres épaisses et à moitié gercées, pour des physiques qui ne font pas la une des magazines et qui n’ont, de toute manière, aucune intention d’y figurer. De la place pour les autres.

Ici, sur cette image de Dorrey, les yeux froncés de Noname symbolisent la colère et les traits ridés la sagesse. Les cheveux grisés et ébouriffés, eux, se sont électrisés au point d’avoir figé un étrange personnage, en haut à droite de l’image, voyageur égaré dans un espace décidément bien étrange. Une image où, bien entendu, c’est globalement le noir qui domine. Le noir de la peau, celui de l’espace, celui des cheveux et des vêtements. Des nuances d’une couleur qui rendent cette image, peut-être pas politique, mais au moins engagée. Le noir, plus que n’importe quelle autre couleur, dérange ? Pas pour rien, sans doute, que le disque s’ouvre, justement, sur le morceau « black mirror », un track qui dit « She’s a shadow walker, moon stalker, Black author / Librarian, contrarian / The state say we dead, we say we not / That’s my bitch, I believe my sister / There are no winners ».

Évolution

Une image à des années-lumière de ce que Noname avait proposé sur ses deux précédents albums, et notamment de celui de cette pochette signée Nikko Washington pour Telefone, où c’était, cette fois, une image particulièrement rajeunie de l’artiste qui était proposée. Sept ans de carrière et de vie séparent les deux images alors, doit-on voir l’insouciance sur l’image de Telefone et la sagesse pour celle de Sundial ?

Noname (Instagram / Facebook / YouTube)

Frank Dorrey (Instagram)

Noname, Sundial, 2023, Awal Recordings America Inc., 32 min., artwork de Frank Dorrey