Steve Lacy x Frank Dorrey x Viktor H — Gemini Rights


Le Californien Steve Lacy est né un 23 mai, ce qui fait de lui un gémeau. Un signe astrologie marqué, dans l’imaginaire collectif et selon ceux qui pensent la vie par ce prisme-là, par l’idée de dualité, qu’il s’agisse d’une dualité d’opposition (le conflit, l’instabilité, la dispersion, voire la destruction) ou bien de complémentarité (la tolérance, l’égalité, la bienveillance…)

Dualité

Fabriqué à la suite d’une déception amoureuse, Gemini Rights navigue entre la tristesse, le soulagement, le regret, le ressentiment, le désir, la volonté de récupérer l’être aimé et celle de l’exclure de sa tête de manière définitive. Dans ce premier album « formel » (le précédent, Apollo XXI, serait à considérer comme une mixtape), les émotions sont mitigées, contradictoires, faites de grands hauts et de grands bas : c’est la ritournelle, en somme, des relations qui doivent s’achever à force d’avoir été trop souvent sabotées.

Cette dualité que l’on pourrait aussi nommer instabilité émotionnelle, elle se manifeste aussi dans cette pochette de disque fabriquée par un artiste, Frank Dorrey, spécialisé dans la constitution d’images qui mêlent le beau et le bizarre, le grotesque et le flippant, le rêveur et le névrotique.

Ange et démon

Sur cette image proposée par Dorrey pour Lacy et avec la collaboration du studio Viktor H (déjà vus tous ensemble pour l’artwork du single « Mercury »), on voit donc le musicien de Compton la peau colorisée comme s’il avait rôti un peu trop longtemps dans les entrailles de l’enfer, mais vêtu des habits blancs que les gens bien intentionnés doivent, selon les dires, porter au paradis.

Puis il y a cette flèche qui signifie une boucle qui encercle le visage, et surtout ces cornes qui se dessinent, au-dessus des oreilles, comme elles se dessinent chez les pensionnaires de Lucifer. Un genre de démon qui aurait encore le choix entre les deux extrêmes.

Steve Lacy x Frank Dorrey x Viktor H — Gemini Rights

DIY

Steve Lacy et Frank Dorrey. Un duo d’autant plus cohérent que tous deux partagent une attraction pour le do it yourself, l’artisanal, le pas besoin de grands moyens pour lancer de beaux et grands projets.

Pendant de longues années, et c’était par exemple le cas des compositions d’Apollo XXI, Steve Lacy composait en effet via GarageBand puis enregistrait à l’iPhone, et on connaissait même cet ancien membre de The Internet pour cette manière très contemporaine et très bricoleuse d’envisager la production, l’enregistrement, et ces manières qu’il a toutefois finies par mettre de côté et notamment avec cet album, Gemini Rights, enregistré au sein d’un véritable studio de production (révolution !)

Steve Lacy © Mason Rose
Steve Lacy © Mason Rose

Frank Dorrey, lui, et alors qu’on songerait plutôt aux premiers abords à de la peinture, du collage ou de l’Aérographe, réalise ses compositions via iPhone 8 et l’application PicsArt, procédé peu onéreux et peu contraignant qui lui permettent la création de ces visages bizarres, flippés, monstrueux, déstructurés qui peuplent une œuvre au sein de laquelle celle représentant Lacy ferait quasiment figure de composition sage, apaisée, raisonnable, soit l’allure qui est celle de l’ange avant que l’on découvre qu’il s’agisse en fait d’un démon.

Steve Lacy (Twitter / Instagram / YouTube)

Steve Lacy, Gemini Rights, 2022, L-M Records / Sony Music Entertainment, 36 min.