Marilyn Manson — We are chaos


Ce n’est clairement pas ce que l’on retient le plus de lui mais Marilyn Manson, ancien meilleur ennemi des États-Unis du début des années 2000 — «  les meurtres de Columbine ? C’est à cause de sa musique dégénérée ! » —, figure guignolesque d’un satanisme surjoué à l’extrême, icône monumentale de la contre-culture parvenue au sommet de la grande culture de masse (la musique métal, tendance grosses guitares, slogans contestataires et anti-impérialisme paradoxal), est aussi un peintre aquarelliste appliqué.

Marilyn Manson © Perou

Métalleux et aquarelliste

Marilyn Manson, dont le nom même raconte les troubles d’une Amérique culturellement bipolaire (Marilyn pour la starlette Monroe, Manson pour le sanguinaire Charles), et qui a fait de la contestation de cirque avec diffusion en boucle de clips interdits au moins de 16 ans sur MTV son argument de vente le plus massif, qui apaiserait ses humeurs en se penchant, le dos pas trop courbé, devant une aquarelle sur toile ? L’image, de prime à bord, a de quoi troubler. Marilyn Manson (dont on rappelle qu’il est à la fois le nom de scène de Brian Hugh Warner et le nom du groupe dont il est le leader) ne s’est donc pas brisé les côtés, comme le suggère encore aujourd’hui les rumeurs de cours d’école, afin de pouvoir se faire lui-même une fellation. Brian n’est pas ce genre de type-là. Brian ne sacrifie pas, non plus, d’animaux dans son logement de Los Angeles. Brian peint des aquarelles.

Des aquarelles à la Manson, bien sûr. Car on retrouve sur ses petites toiles, dont beaucoup sont exposées dans la galerie qu’il a lui-même ouvert à Los Angeles, The Celebritarian Corporation Gallery of Fine Art, les mêmes obsessions thématiques qui apparaissent depuis plus de 25 ans dans sa musique.

Galerie des horreurs

Il y est question d’androgynie, d’Antéchrist, de Christ salement amoché, de maternité mal vécue, de silhouettes dangereusement squelettiques, de visages, déstructurés et mortuaires, semblables à ceux que peignaient jadis le peintre anglais Francis Bacon. De beaucoup d’angoisses.

Une galerie des horreurs qui suinte les névroses et les peurs intestines non-gérées à plein nez, et dont le mélomane qui aurait suivi la carrière de Manson au début des années 2000 reconnaîtra certains éléments. Certaines des aquarelles de Brian sont en effet déjà intervenues dans son œuvre musicale, que ce soit pour le besoin du merchandising (les peintures de Manson sur les tee-shirts de ses fans, ça fonctionne bien) ou sur les pochettes de ses disques.

Un Manson figuré avec les mêmes cornes que celles de Satan sur la pochette de Lest We Forget (2004), une femme flippante et nue avec son bébé (ou ce qu’il en reste ?) dans ses bras (This is the new shit, 2003), un visage cadavérique avec le haut du crâne sectionné (I Don’t Like The Drugs, (1998), ou encore un autoportrait, très réussi cette fois (ce n’est pas toujours le cas…), donnant à Manson des allures de Voldemort clownesque et maquillé comme une icône gothique. Cette dernière image est celle de We are chaos, un album qui confronte les humains à l’état d’une planète qui fait la tronche, et qui voit venir bien pire (le chaos, donc ?) en même temps qu’il interroge son statut d’artiste trouble et troublé.

Marilyn Manson — Lest We Forget (2004)

Manson par Manson

Manson qui peint Manson, et les tréfonds d’une âme qui apparaît ici si sévère, et si triste ? De l’autre côté du miroir (car Manson éprouve une fascination pérenne pour Lewis Carroll, dont il a d’ailleurs déjà peint l’Alice), le pire ennemi de l’Amérique paraît bien préoccupé. Et il paraît avant tout l’air par son moi intérieur, comme le suggérait déjà il y a cinq ans la pochette de The Pale Emperor, qui disait, par le biais de ce visage évanescent, la persistance de troubles identitaires difficiles à totalement écarter du paysage…

Le son

« Je n’avais pas peur de sortir de ma zone de confort en écrivant de la musique avec lui. Il m’a aussi aidé à surmonter mes peurs, à revenir vers des inspirations plus anciennes et en tant que producteur, il m’a aidé à rester inventif tout en essayant de nouvelles choses et en gardant l’essence de ce qu’est Marilyn Manson (…). Ce concept-album est comme un miroir que nous avons construit, avec Shooter, pour l’auditeur. On ne s’y plongera pas avec un regard vide. Il comporte tellement de pièces, de placards, de coffres, de tiroirs. Mais le pire qu’il puisse y avoir en nos âmes ou nos souvenirs, c’est toujours l’idée du miroir. Des échardes fantomatiques ont hanté mes mains pendant la majorité du temps d’écriture des paroles de cet album ».

Manson a bossé avec Shooter Jennings, musicien country muté en producteur qui n’y va pas avec le dos de la cuillère (ça reste du Manson, apôtre inversé du nu-métal des années 2000) et livre un album qui alterne les hommages quasiment new-wave et glam rock, les tentatives country  de stade, les envolées métalliques, et un chaos qui se fait de plus introspectif et moins rentre-dedans (il y a une forme de logique à cela) qu’hier.

Marilyn Manson (Site officiel / Facebook Twitter)

Marilyn, Manson, We are chaos, 2020, Loma Vista Recordings, 43 min., aquarelle de Marilyn Manson