Gaspar Claus x Lucie Rimey Meille – Tancade


Depuis une dizaine d’années, Gaspar Claus vadrouille, rencontre, expérimente, innove, amène le violoncelle ailleurs de là où on a l’habitude de la trouver. Il y eut le Mali, la Mongolie, le Japon (l’étonnant disque Jo Ha Kyù, illustré par le dessin de Morohoshi), le Vacarme (trio formé avec les violonistes Carla Pallonne et Christelle Lassort), l’Espagne toute proche de là où il a grandi, dans les Pyrénées-Orientales. Le violoncelle qui lui colle aux basques depuis son très jeune âge (il a appris à en jouer très tôt) a rencontré le flamenco du grand guitariste Pedro Soler (qui est, accessoirement, aussi son père) ou celui de la chanteuse Inés Bacàn, l’electronica de Rone, les pop expérimentales de Flavien Berger ou de Casper Clausen.

Possibilité d’une île

Puis Gaspar revient, et sur ses pas tant qu’à faire, jette l’ancre dans les endroits familiers, prend le chemin escarpé des criques que les touristes n’empruntent pas, mais que lui connaît sur le bout des doigts. Quelques ambitions au passage, honnêtes et viscérales.

Envisager la possibilité d’une île. Joindre le rivage, les confins du monde, fuir la foule. Prendre le chemin de traverse, escalader les roches, veiller, même si l’on est familiarisé avec l’endroit, à ne pas se faire trop mal. Parvenir sur la crique de Tancade, refuge seulement connu par ceux ayant suffisamment exploré la région et qui ont eu le besoin, parfois, de venir y apaiser l’âme. Y rester un moment.

Un endroit sur Terre

Tancade, c’est le nom d’un endroit sur terre. Une plage assez simple, pas évidente d’accès, au sud de Banyuls-sur-mer, le village où j’ai grandi, et où je passe encore beaucoup de temps (…). Un espace sauvage, minéral, immuable, parfois traversé d’éclairs, de rythmes et de visages heureux avant de retrouver sa quiétude, ou d’autres formes de remous.”, résume Gaspar Claus, qui a fait le choix de nommer son premier album solo (il y eut jusqu’ici beaucoup de disques, mais toujours en collaboration  avec d’autres ou dans le cadre de bandes originales de films) avec le nom de cet endroit qu’il aime, justement, parce qu’ils sont peu à en avoir connaissance. “Il y a un autre lieu à Banyuls, ‘Barlande’, qui compte beaucoup pour moi et qui a donné son titre au premier disque que j’ai fait avec mon père, chez InFiné aussi.”, ajoute Gaspar pour qui le rapport à l’intime et aux lieux devenus des tanières rassurantes est décidément très fort.

Tancade donc. Et une photo de la crique pour l’illustrer. Rien de prémédité là-dedans. Le fait d’un hasard heureux qui a transformé le destin de cette image que l’on jurerait issue des années 70 et qui aurait pu accompagner un album perdu de Pink Floyd, peut-être, dont la pochette aurait été proposée, comme toutes les autres, par le studio Hipgnosis.

J’aime qu’un disque, une musique, dessine un paysage, un territoire, souvent à la fois réel et symbolique”, dit Gaspar, qui a durant longtemps posé les bases de ce disque sans pour autant prendre le temps de lui trouver un titre, et encore moins une idée de pochette. “J’ai veillé à ce que les morceaux, pendant leur temps d’écriture, ne soient perturbés ni par des mots, ni par des images, qu’ils dessinent, en quelque sorte, leur propre cinéma. Je me disais que ça viendrait. (…) Je travaillais les morceaux sans trop connaître encore ce qu’ils pouvaient bien raconter. Ils n’avaient pas de titres, s’appelaient ‘embryon 1’, ‘embryon 2’, etc. L’album non plus n’avait pas de titre.

Une de ces places dont l’existence apaise, ne serait-ce qu’en y pensant lorsqu’on en est loin.

Gaspar Claus

Jusqu’au jour où il repense à cette photo signée par une amie photographe, Lucie Rimey Meille, qui avait circulé dans une conversation Messenger dans laquelle ses amis et lui échangent régulièrement des photos de vacances. “ Il manquait un environnement à mon disque, qui ne portait toujours pas de titre. J’ai revu la photo et ça s’est présenté comme une évidence : ce disque serait un hommage à cette plage et à ces amis avec lesquels je l’ai souvent partagée. C’est un endroit hors champs, qui ressemble à ceux qui l’occupent, une de ces places dont l’existence apaise, ne serait-ce qu’en y pensant lorsqu’on en est loin.

Des amis dénudés sur une plage adorée pour mettre en image un premier album solo. Gaspar Claus fait le choix de la source primale dont jaillit tout le reste, du socle solide sur lequel repose les fondations, des bains de soleil qui ont pu faire venir les percées de lumière.

Toutes les personnes présentes à l’image sont des amis que j’aime autant que cette plage. Cette photo et celles qui composent le livret qui accompagne le disque sont comme le témoignage d’un possible espace parenthèse, un espace à danser à rêver, un espace qui tremble et qui clignote, qui fait tout simplement du bien.

Je suis heureux d’arriver avec un artwork aussi lumineux, ouvert. Et si on regarde dans le détail, il s’y passe plein de choses. Mon pote au premier plan est simplement là, à se laisser lécher par le soleil tandis que les trois autres derrière sont à la recherche de quelque chose dans le sable et la dernière, tout au fond, semble avoir vu ou trouvé quelque chose hors cadre, qu’elle pointe du doigt.

Pourvu que mon disque soit à la hauteur de cette image, qui me fait tellement de bien, rien qu’à la regarder.”

Gaspar Claus (Bandcamp / Soundcloud / Facebook / Twitter)

Gaspar Claus, Tancade, 2021, InFiné, photo de Lucie Rimey Meille