Feu ! Chatterton x Sacha Teboul – L’Oiseleur


« L’Oiseleur », dans la langue de Molière, c’est celui qui, dans le passé (le mot n’est guère plus utilisé de nos jours), capturait de petits oiseaux, simplement pour se divertir (lorsqu’il s’agit d’un humain), ou alors pour se nourrir (lorsqu’il s’agit d’un animal sauvage). L’Oiseleur, pour les membres de Feu ! Chatterton qui ont décidé de nommer ainsi leur second album, c’est aussi une métaphore du sentiment amoureux, et de cette illusion qu’il est possible de capturer, pour de bon, un être qui s’avère pourtant être délibérément libre.

« Qui est vraiment l’oiseleur » ?

Arthur Teboul, qui écrit et qui chante les mots de Feu ! Chatterton : « Il y a un mot qui nous a beaucoup hanté pendant l’écriture de l’album, c’est le mot ‘captive’. Chaque chanson de l’album dessine, à sa manière, les contours de ‘l’absente’. Le sens du mot est beau pour ça. ‘L’oiseleur’, c’est celui qui essaye d’attraper les oiseaux. Il n’est pas forcément cruel, c’est pas forcément une idée de chasse : il est simplement à la poursuite de quelque chose d’insaisissable. »

L’Oiseleur, ainsi, sur ce visuel signé par Sacha Teboul (le frère d’Arthur, qui avait déjà signé la photo du single de Bic Médium), paraît avoir déjà fait un captif. Une perruche en l’occurrence, posée, sans contrainte apparente, sur la main d’Arthur. Autour de lui, succession de tableaux immobiles et vivants, le reste du groupe (Antoine Wilson, Clément Doumic, Raphaël De Pressigny, Sébastien Wolf), pourvu « de fétiches et d’amulettes » qui évoquent tous, à leur manière, le processus de construction du disque.

Ainsi, ce tableau pensé comme tel mais qui n’en est pas un, renvoie à la fois au passé récent du groupe (on y voit la tête qui illustrait le disque Bic Médium), aux voyages durant lesquels ont fusé les mots qui devaient devenir, plus tard, des chansons (la grenade ou le miroir andalou, qui évoquent l’Andalousie dans laquelle Arthur s’est rendue), à ce sentiment amoureux demeurant l’un des principaux axes de réflexion du groupe (l’ex-voto du Mexique, avec du feu par dessus), ou aux origines d’un groupe qui assume un héritage clairement méditerranéen.

Arthur : « La Méditerranée, de Naples à Marseille, du Maghreb à l’Andalousie, peut être pour nous un espace de jonction. Clément a vécu un moment à Istanbul, le Maroc fait partie de mon héritage… Ce sont de vraies racines que l’on a. Le tapis persan, le coeur mexicain, la grenade, le coffre marocain…il y a un lien latin – latin d’Europe ou d’Amérique -, une chaleur, dans la musique comme sur cette pochette. Nous, on se dit que la musique est une quête d’identité, un moyen de se connaître. Le disque peut avoir l’air sombre, mais nous on le voit plutôt comme un jardin éclairé, intime. »

Symbolismes

Inspiré par le film symboliste d’un réalisateur géorgien (La Couleur de la grenade de Sayat Nova, d’où aussi la présence de la grenade dans les mains de Raphaël De Pressigny), ce visuel-là propose ainsi, à la fois, une rupture et une continuité. « Le lien entre les deux visuels de nos albums, c’est qu’Odilon Redon (détourné sur la pochette d’Ici le jour (a tout enseveli) est l’un des pères du symbolisme, et que cette pochette-là l’est également. », indique Arthur. « Là où le changement est important, en plus du format photographique qui remplace le pictural, et en plus du fait que cette pochette-là est largement plus lumineuse, c’est que l’on nous voit. Jusqu’à présent on était gênés de nous mettre en scène et de mettre en scène le groupe. On a pris confiance, via notre travail. Pour nous y a plus de complexe : ce que l’on défend ce sont des histoires, ce sont nos chansons, c’est pas nous-même ! Nous sommes prêts à incarner notre musique ! »

Le son

L’amour, l’exil, l’absence, ce qui n’est plus et ce qui sera, peut-être, un jour…Hier, sur un premier disque pourvu d’un succès d’estime considérable, tout était enseveli. Aujourd’hui, on songe au « captif », et à l’impossibilité de saisir ce qui ne l’est pas – le coeur des autres, notamment. En 2018, au cours d’une décennie où les rimes qui fonctionnent sont de moins en moins souvent liées à la chanson chantée, mais plus souvent à la chanson rapée, Feu ! Chatterton continue de fonctionner par le biais de la chanson lettrée. Voilà au moins une bonne raison, alors, de demeurer captif, au moins l’espace d’un instant.

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Feu ! Chatterton, L’Oiseleur, 2018, Universal Music / Barclay, photo par Sacha Teboul