Drake x Caitlin Cronenberg x Nicky Orenstein – Views


Drake x Caitlin Cronenberg x Nicky Orenstein – Views From The 6

La 7e femme de Barbe-Bleue, comme les autres avant elle, commet l’erreur de visiter la pièce qu’elle n’aurait pas dû visiter. Les corps des anciennes femmes de son nouveau mari y gisent, immobiles et sans vie, et c’est le sort qui l’attend désormais elle aussi. On lui laisse un quart d’heure, le temps d’une prière. Soit le temps pour sa sœur Anne de se percher tout en haut d’une tour, guettant l’arrivée espérée de deux frères venus rendre une visite opportune. « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? ». Personne non, juste le « soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie  ». Jusqu’à ce qu’apparaissent les deux silhouettes, salvatrices, celles de ses frères qui finiront par venir à bout de l’ignoble et cruel Barbe-Bleue.

Man of Toronto

Drake, lui, et contrairement aux héroïnes apeurées du conte de Perrault mille fois réécrit, n’attend sans doute personne de particulier du haut de sa tour de béton, qui n’est autre que la CN Tower de Toronto, édifice immense et emblématique de la cité canadienne qui sert d’illustration à ce visuel photographié par Caitlin Cronenberg (la fille de David) et designée par Nicky Orenstein. Il contemple plutôt, dans une posture qui pourrait paraître au premier abord bien hautaine (mais qui n’est sans doute pas l’objectif assumé), ce petit empire que ses 3 premiers albums, ses tubes en pagaille (« Take Care », « Headlines », « Hotline Bling »…) et ses connivences avec toute la hype ricaine multi millionnaire – le réseau Kanye / Jay-Z / Riri – ont eu le temps de bâtir.

CN Tower

CN Tower

Du haut de cette tour, où il est sans doute fringué avec les éléments textiles de sa marque OVO – peut-être la chouette qui a inspiré son logo viendra-t-elle lui rendre visite là-haut, allez savoir – Drake rend en réalité hommage – c’est du moins le sens du post Instagram qui s’est chargé de dévoiler le visuel en question – à sa ville natale de Toronto, pour laquelle il ne cesse de répéter son plus profond attachement. C’est notamment là qu’il avait annoncé cet hiver la parution de cet album – Views –, via cette publicité imposante affichée au sein de la cité canadienne qui faisait apparaître ce message alors énigmatique, « The 6 is watching ». « The 6 », cela réfère non pas au fait que cet album est le 6e de la discographie de Drake (puisque celui-ci est le 4e), mais explicitement à Toronto, puisque c’est ainsi que la ville est surnommée (à l’origine, la ville était divisée en 6 cités différentes : Toronto, Scarborough, North York, York, East York et Etobicoke).

To the city I love and the people in it…Thank you for everything #VIEWS

Une photo publiée par champagnepapi (@champagnepapi) le


Littéralement, ce visuel-là aurait donc approximativement le même sens qu’avait celui du dernier album de Dr. Dre, où le visuel de Jeremy Deputat indiquait la perception de Los Angeles, mais vu depuis les regards de Compton. Ici, c’est Toronto, vu depuis le regard plein de hauteur de Drake, qui n’oublie tout de même pas de signaler sa « modestie » (mettons tout de même des guillemets ici…) en se représentant bien petit par rapport à l’immensité suggérée par la CN Tower. Un individu parmi d’autres, finalement, rien de plus et rien de moins.

Dr. Dre – Compton

L’anticipation du mème ?

Une analyse plus soupçonneuse, et puisqu’il est vrai que la position de ce Drake tout petit assis les pieds ballants sur une tour immense devait obligatoirement faire vite réagir cette toile avide consommatrice de viralité à retweeter, consisterait à faire de Drake un instigateur de son propre « mème », comme s’il avait dû dicter à l’univers 2.0 le contenu que celui-ci allait devoir partager afin de pouvoir lui assurer une promotion plus grande encore, et gratuite qui plus est (quelques heures après son dévoilement, de nombreux mèmes inondent en effet déjà la toile).

Drake singé, Drake multiplié, Drake viralisé, Drake qui reproduirait ainsi l’astuce que certains lui avaient déjà prêté lors de la sortie du clip de « Hotline Bling » et de l’utilisation de ce pas de danse pour le moins original, une chorégraphie dans laquelle les accusateurs, malins et au moins aussi conscients que lui des problématiques du monde contemporain, avaient déjà vu une volonté d’anticipation virale évidente. Drake, ou la théorisation de la religion du XXIe siècle (celle de la viralité), et l’appel à la prière devenu appel au « mème ». Olympe et CN Tower.

Le son

Work, work, work, work, work (in progress).

Drake (Site officiel / Facebook / InstagramTwitter / Youtube)

Caitlin Cronenberg (Site officiel / Instagram / Twitter)

Drake, Views, 2016, OVO Sound / Warner Music Group, pochette par Caitlin Cronenberg, design par Nicky Orenstein